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fois elle resta sans voix. Enfin poussant un cri aigu, qui ressemblait moins à une voix humaine qu’à un sifflement sauvage et perçant :

« Que vois-je ? qu’entends-je ? que lui voulez-vous ? » s’écria-t-elle.

Il se fit un moment de silence, que Cambray eut seul la force d’interrompre, en parlant avec une solennité affectée :

« Ma femme ! sois courageuse et montre-toi digne de moi ! Tu es la femme de celui qui n’a jamais faibli devant les malicieux complots des hommes ! Souviens-toi de cela, et ne crains rien ! Écoute, tu me connais : ils m’accusent d’un crime, et d’un crime affreux ; l’accusation est vague, il est vrai, mais c’est d’un meurtre qu’ils m’accusent ! »

En prononçant ces paroles terribles, qui sonnèrent comme des paroles de mort à l’oreille de sa femme tremblante et à demi-évanouie, dans les bras de sa voisine, attirée par la curiosité, Cambray franchit le seuil de sa demeure, et marcha bravement vers la prison, entouré de Magistrats, et exposé aux sarcasmes et aux réflexions charitables des passans et des commères suspendues à mi-corps au-dessus de la rue, et se parlant de leurs fenêtres.

Le même soir Cambray fut confronté avec les témoins qui l’accusaient, et jeté dans un noir cachot. Waterworth, son associé, vint lui-même s’offrir à la Police, et partager son sort. Tant que Cambray avait espéré d’en imposer par sa fermeté, il s’était montré calme et soumis ; mais quand il vit que le voile était déchiré, quand il connut la nature accablante des témoignages, quand il fut instruit du nom de ses accusateurs, enfin quand il se vit perdu, il ne put plus se contenir et se laissa aller à tous les emportemens de la rage. Dès les premiers jours de son incarcération, il devint sombre, féroce et brutal, au point de se faire redouter de ses commensaux les plus aguerris. Ce qui semblait le tourmenter davantage, ce n’était pas la peur de la mort, ce n’était point non plus l’infamie dont sa réputation allait être entachée ; c’était le dépit, la déconvenue d’avoir été arrêté en si bon chemin, par suite de son imprévoyance et de ses faux scrupules. Il se reprochait d’avoir été trop conscientieux dans ses prises, et trop indulgent envers des traîtres.

Cambray et Waterworth, avant ce revirement de ce qu’ils appelaient leur bonne fortune, jouissaient d’une haute considération parmi les leurs, et étaient presque respectés de tout le monde. Voici comme Waterworth, qui demeurait la plus grande partie de l’année à Québec, décrit ce qui se passait dans l’intérieur de la famille de Cambray quelque temps avant son arrestation.