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« Traître ! ce n’était que cela ! ô joie d’enfer ! du moins nous périrons tous deux !… défends-toi ; — je ne lâcherai prise, que tu ne sois mort ! »

Le meurtrier était sans voix, et ayant voulu pousser un cri, il ne sortit de sa bouche qu’un torrent de sang qui se répandit sur la figure de sa victime, et humecta sa langue aride. C’était une lutte horrible que celle qui s’était engagée entre ces deux hommes, dont l’un trompé dans ses projets de meurtre, étouffé, agonisant, se voit à tout moment tiré hors de la chaloupe, dans laquelle il ne se retient plus que par un pied ; dont l’autre, certain de périr s’il ne tue son adversaire, limité dans sa fureur désespérée, et comme suspendu par un fil au-dessus d’un abîme, sent à tout moment ses forces défaillir et sa main glisser. Cette scène d’horreur se serait prolongée plus longtemps, si le vent, qui continuait à souffler avec force, n’eût poussé contre la chaloupe une grosse vague, qui la souleva avec violence, et fit lâcher prise aux deux adversaires. Retombé dans l’eau, l’un se promène à la nage autour de l’esquif, et tente, mais en vain, d’y sauter ; car à chaque nouvel effort qu’il fait, son adversaire, qui le guette armé d’une gaffe ferrée, lui assène un coup violent qui le rejette plus loin. Enfin la victime fait un dernier effort, reçoit le coup mortel, et disparait sous les flots. Resté seul et triomphant, le meurtrier, le cœur palpitant d’une joie féroce, remet à la voile, et glisse comme une vapeur sur les flots : la marée le seconde et la lune, apparaissant à travers un nuage, sourit à sa victoire. Il n’a pas couru trente brasses, qu’il croit voir une tête s’élever comme un phantôme au-dessus de la proue, le regarder en face, et se retirer mystérieusement. D’abord l’étonnement, et puis la terreur s’empare de lui ; mais à la troisième apparition, il se lève de fureur, ressaisit sa gaffe ferrée, court à l’avant, se penche, regarde à la quille et découvre… quoi ?… une tête d’homme qui s’y tient collée, et des mains cramponnées comme des griffes dans le bordage. Ciel ! c’est son adversaire, il le reconnaît, et sans perdre un moment, il s’élance de toutes ses forces, et lui brise la cervelle sur la joue de sa chaloupe qui en est souillée, en lui jetant cette affreuse ironie : « va chez les morts conter ce que tu sais ! qu’ont-ils à faire qu’à t’écouter ? »

Et cette fois sûr de sa victoire, il rentre dans le port avec la marée. En mettant le pied sur le quai, l’homme qu’il y avait laissé se présente à lui :

— « Eh bien ! qu’en as-tu fait ? » lui dit-il ?

— « Ce qu’il fallait ! j’ai eu bien de la peine ; mais son affaire est faite ; nous en sommes débarrassés ; il n’en dira pas davantage ; car les morts ne parlent pas ! »