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— « Oui, j’entends bien, » répondit la servante, « c’est dans la cuisine ; une fenêtre qui bat peut-être ? Non, j’entends marcher quelqu’un, je crois ; descendons voir…

— « Non, non ; au nom de Dieu, ne sois pas si étourdie, » répliqua la vieille femme, perdant presque connaissance, « ferme la porte à la clef, et prêtons bien l’oreille ; Ah ! ciel, viens donc à moi, j’étouffe ! »

— « Qu’y a-t-il donc ? vous ne dormez pas, Madame ? » murmura un petit garçon de dix ans qui donnait sur un sopha, et que ce bruit avait éveillé. C’était les seules trois personnes qu’il y eût dans la maison ; et dans la cuisine, les cinq brigands intimidés restaient toujours tranquilles, respirant à peine, prêtant l’oreille, et cherchant à deviner à combien de personnes ils avaient à faire. Toute la maison rentra bientôt dans le plus profond silence ; silence pénible et douloureux, qui ne fut interrompu que par les soupirs retenus des deux femmes, le bruit de l’horloge qui sonna minuit, et les jappemens interrompus et entrecoupés du petit chien qui parcourait les appartemens en se battant les flancs.

Il y en a qui se sont plus à peindre sous les couleurs les plus fortes les ennuis, les souffrances, l’agonie d’un amant qui attend en vain à un rendez-vous, et se promène seul dans un lieu solitaire, le cœur plein d’amour, d’espoir, d’impatience et de jalousie. Ce n’est rien que cette situation comparée à celle de deux femmes faibles et sans protection, tremblantes et épouvantées, certaines qu’elles sont que des brigands viennent d’entrer dans leur demeure, épient le moment de fondre dans leur appartement, et trament contre elles dans les ténèbres des projets de sang et de mort. À tout moment elles s’attendent à voir leur porte se rompre avec fracas, des figures horribles s’avancer vers elle, les saisir à la gorge, et leur présenter le pistolet ou le poignard. Si le vent siffle à une fenêtre ; si une planche craque ; si un insecte remue ; c’est pour elles un bruit terrible, qui leur peint le danger tout entier, glace leur sang au cœur, et leur cause une crispation mortelle. Attendre dans cette situation un danger réel ou imaginaire, c’est souffrir mille morts ; c’est être sous une meule qui vous brise et vous broie les os ; c’est être sur des aiguilles qui vous déchirent et vous ensanglantent ; c’est dormir au milieu d’une orgie de spectres, qui font retentir votre cabinet d’affreux ricanemens, se pressent auteur de votre couche, et vous soufflent à l’oreille des imprécations ; c’est souffrir tous les maux à la fois, sans la consolation qu’ils peuvent excéder vos forces et vous rendre insensible. Telle fut la situation de ces deux femmes durant près d’une heure que dura, après le premier bruit, le silence suspect qui lui succéda.

— « Élizabeth, j’espère qu’ils sont partis, » reprit enfin la vieille femme reprenant un peu ses sens ; « je vais me remettre au lit, je ne crois pourtant pas que je dorme du reste de la nuit ; veille encore un instant. »