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allez pas encore, mère... j'espère être bientôt!.. Oh ! ne vous en allez pas encore... ne me laissez pas ! » Le gardien vint dire aux pauvres femmes que l'heure de partir était venue. Encore quelques jours, on le trouva mort ; « dans la solitude de sa cellule, dans les horreurs de la nuit, sans une main pour l'aider ou un œil pour le plaindre, le poète expira, son lit de mort fut un paillasson de paille ; les derniers sons qui résonnèrent à son oreille furent les hurlements de la démence * ». Dans les agonies de poètes, il n'en est pas de plus affligeante ; elle l'est plus que celles de Gilbert et d'HégésippeMoreau. Ainsi se termina, avant la vingt-quatrième année, une vie qui avait été aimable, inoffensive, et, sous ses excès, innocente. Le souvenir de Fergusson resta cher à ses amis.

Ce malheureux garçon était poète, un vrai poète, à sa manière et dans son petit domaine. Il n'avait pas le sens de la grâce physique, ni ces rapides éclairs épars dans Ramsay, ni ces soudains coups de beauté qui éclatent dans Burns. Dans les vieilles rues sombres, la race est souvent moins belle, et surtout ignore ces travaux qui montrent le corps dans des attitudes avantageuses. Il n'avait pas non plus le sentiment de fraîcheur qu'une enfance campagnarde a donné aux deux autres poètes. Sa poésie ne sent jamais l'aubépine, les senteurs des fèves en fleurs n'y arrivent pas. Pauvre Fergusson ! Il n'avait jamais respiré à longs loisirs l'atmosphère large et pure des champs ; il avait vécu dans l'ombre puante des ruelles, au pied humide des immenses maisons dont le toit seul connaît la lumière. Si le soleil apparaît chez lui, c'est au sommet des édifices quand il touche le coq de Saint-Giles ou le haut des cheminées. Enfermé toute la journée dans son taudis de commis, descendant le soir dans les tavernes, il semble surtout avoir vu le soleil en rentrant chez lui au point du jour. La clarté était pour lui une chose de luxe. Il lui manquait encore la vraie gaîté, le mouvement des vieux poèmes, la large jovialité qu'un tempérament robuste communiquait à Burns, et la claire animation que Ramsay tenait de son contentement de la vie. De complexion maladive, étiolé et affaibli par les privations et le manque d'air, il ne pouvait avoir la même vitalité. Enfin, chose étrange en un homme si jeune, il ne semble pas avoir aimé. Il n'y a guère d'allusion chez lui qu'aux amours nocturnes qu'on rencontre sous un réverbère. Il était misérable, mal vêtu, honteux. Dans des vers qui ne manquent pas de tristesse, il dit lui- même :

Si un gars ardent gémit,

Pour les faveurs des yeux d'une dame,

Qu'il ait soin de ne pas se montrer, Avant d'avoir' mis

Son corps dans un fin fourreau De beau drap fin.

1 Peterkin. Life of Fergusson, prefixed to the London Edition of his poems, 1807.