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le soir, comme il était recherché pour sa gaîté et son esprit, il prenait part à l'épaisse débauche des clubs. Dans les intervalles, il écrivait ses poèmes qui parurent dans le Weekly Magazine, et furent publiés en volume en 1773, sans qu'ils paraissent lui avoir rapporté un shelling. Sa consti- tution délicate ne pouvait résister longtemps à la triple fatigue du travail, de la misère, et des excès. Au commencement de 1774, il commença à donner des signes de dérangement d'esprit. Il alarma un de ses amis en lui racontant, avec des regards effarés et des gestes extravagants, que la veille au soir il s'était pris de querelle avec des étudiants, que dans la bagarre l'un d'eux avait tiré un coutelas et lui avait tranché la tête, que sa tête avait roulé assez loin toute tremblante, toute coulante de sang, et que, sans sa présence d'esprit, il serait un homme mort ; mais qu'il avait couru après elle, qu'il l'avait replacée si adroitement dans son ancienne position que les parties s'étaient rejointes, et qu'on ne pouvait découvrir aucune trace de sa décapitation. C'était la folie dont tous les affreux symptômes ne tardèrent pas à se montrer : les refus de nourriture pendant des jours entiers, les longues plaintes murmurées à soi-même, les crises de violence, et parfois d'adorables moments de poésie, et ces chansons navrantes, souvent si expressives, des fous. Il chantait alors une délicieuse mélodie : Les Bouleaux d'Invermay, avec un accent très pathétique et très tendre. Sa mère veuve était sans ressources. On fut réduit à le mettre dans un de ces asiles d'aliénés, qui étaient alors d'horribles repaires de douleur. Il fallut le tromper, le faire monter en chaise à porteurs, comme pour aller à une partie de plaisir. Quand il se vit dans ces murailles, il devina tout et poussa un cri désespéré, auquel répondirent, comme un écho, les hurlements des fous. Les deux amis qui l'avaient amené là s'enfuirent horrifiés.

Il resta deux mois dans une de ces cellules, pires que nos cachots. Quand il était tranquille, on permettait qu'il reçût des visites. Quelques jours avant sa mort, sa mère et sa sœur le trouvèrent sur son grabat de paille, calme et raisonnable. Cette dernière scène est douloureuse à lire. Le soir était froid et humide, il pria sa mère de rassembler les couver- tures sur lui et de s'asseoir à ses pieds, car, disait-il, ils étaient si froids qu'ils étaient insensibles au toucher. Sa mère fit comme il désirait, et sa sœur s'assit auprès de son lit. Il regarda sa mère mélancoliquement et lui dit : « Oh, mère, comme vous êtes bonne ». Puis s'adressant à sa sœur : « Ne pourriez-vous pas venir souvent et vous asseoir près de moi ; vous ne sauriez vous imaginer comme je serais bien ainsi ; vous pourriez apporter votre ouvrage et coudre près de moi ». Elles ne purent lui répondre, et l'intervalle de silence fut rempli de leurs sanglots et de leurs larmes. « Qu'avez-vous? reprit-il ? Pourquoi vous chagrinez-vous pour moi, messieurs? Je suis bien soigné ici... je vous assure, je ne manque de rien... seulement il fait froid... il fait très froid. Vous savez bien, je vous l'ai dit que cela finirait ainsi... Oui, je vous l'ai dit. Oh 1 ne vous en