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mal les vignes *, Nous ne connaissons rien dans la poésie de l'époque de Ramsay qui approche de cette fraîcheur, de ce naturel, de cette réalité gracieuse. Entre la poésie de la Renaissance et la moderne, on peut dire que le morceau est unique. Je ne sais pourquoi, par la souplesse aisée du vers, il me fait penser à un Cowper qui, au lieu de comprendre de la femme le- charme intime, en aurait compris la grâce extérieure. Cepen- dant nous sommes bien en Ecosse. Ce soleil qui se dégage péniblement du brouillard, le costume de la jeune fille sont écossais ; les traits des paysages et des personnages sont exacts, et le langage est bien local.

Le mérite propre de Ramsay, si l'on considère non plus la fonction historique, mais le résultat artistique de son œuvre, est d'avoir touché d'un peu de grâce la vie des paysans écossais. En cela il est unique. Le trait distinctif de la littérature de son pays est un réalisme rude et vigou- reux, qui fut longtemps l'expression des mœurs et des âmes. Rien sans doute n'avait pu empêcher la nature de continuer à produire des créa- tures belles et saines, douées de l'harmonie des proportions et de la démarche, faites pour être la joie du regard humain. Mais une sombre discipline avait interdit le plaisir et enlevé le sens de l'admiration aux esprits. Ramsay les leur restitua. Il discerna la beauté' et la séduction qui existaient autour de lui et que personne ne semblait voir. Il les a quel- quefois tournées à une gentillesse maniérée. Mais il a rendu à la poésie écossaise son sourire. Il s'est arrêté aux jolis détails de la vie, avec plus de soin et de complaisance qu'aucun des autres poètes écossais. Il est bon d'ajouter toutefois qu'il n'a pas perçu des beautés plus profondes, 11 y avait dans la paysannerie une noblesse morale qui a trouvé son expression dans le Samedi soir du Villageois , de Burns, et même dans Le Foyer du Fermier, de Fergusson. Cette beauté-là , Ramsay ne l'a pas comprise. Il n'a pas pénétré l'âme de sa patrie. Mais il a su admirer la grâce native et l'élégance de la race, avec l'œil d'un véritable et délicat artiste.

Le vrai successeur de Ramsay et le vrai prédécesseur de Burns fut Robert Fergusson. Sa vie, qui est un contraste avec celle du premier, fut plus courte encore et plus malheureuse que celle du second ^. C'est une histoire lamentable. Il était né à Edimbourg en 1750. Il avait passé, dans ces hautes maisons sans air et sans lumière, une enfance maladive. A l'âge de treize ans, il avait obtenu une bourse à l'Université de Saint-Andrews. Il en sortit à dix-sept ans, et revint à Edimbourg, sans savoir prendre de parti pour la direction de sa vie. Il fut obligé, pour avoir du pain, de se mettre copiste de papiers légaux. 11 passait sa journée à cette besogne et

1 ThéDcrite. Idylle i.

2 Nous avons consulté, pour la vie de Fergusson, la notice très étendue du Biogra- phical Dictionary of Eminenl Scotsmen, et la biographie du poète par James Gray, en tête de l'édition de Fairbairn, etc., 1821.