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n no faut pas rependant hésiter à dire que, si tous ces essais ne ser- vaient à retracer les origines d'une véritai)le production, digne de figurer parmi les parures d'une nation, ils auraient été oubliés. Ce seraient des bruits évanouis, comme tant de mots heureux, de causeries humoris- tiques, de paroles brillantes, en qui a palpité, pendant un instant, toute une âme. Les hommes dont nous venons de parler n'ont pas été des écrivains; ils ont été, suivant une juste expression, les poètes d'un seul poème. C'étaient des amateurs qui ont eu, un jour, la main heureuse. Leurs productions ne suffisent pas à constituer une littérature; ils en sont les premiers frémissements. Ils dénotent que, sous le firmament assombri du puritanisme, dans la tourmente des querelles théologiques et des persécutions religieuses, alors que tout était stérile, orageux et dévasté, la sève vivait encore. Elle n'attendait, pour se montrer, jaillir et écumer en Heurs, qu'un peu de calme et de soleil.

En effet, aussitôt que la paix reparut, on vit bien que ces signes n'étaient pas trompeurs. Dès le commencement du xviii^ siècle, il y eut un fort mouvement littéraire et une renaissance de poésie nationale. Pendant le xvii" siècle, l'énergie de la nation s'était portée toute entière à défendre son indépendance de conscience ; la force nerveuse du pays s'était usée dans un immense effort de résistance et dans une indomptable tension de volonté. Les persécutions endurées, les services clandestins, les prédications sur les montagnes désertes, un enthousiasme où toute la ferveur de la nation se consumait comme en une flamme sombre, avaient absorbé toute la vitalité. Il y avait eu des martyrs jusqu'au bord du xviii siècle. Lorsqu'on visite le pittoresque cimetière de Sterling, d'où la vue est si noble, on remar([ue, parmi d'autres statues de martyrs, un groupe de deux femmes en marbre blanc. Elles avaient refusé d'abjurer le covenant ; l'aînée avait dix-huit ans. On les lia à deux poteaux sur les sables où se précipite le llux rapide de la Solway. On avait placé la plus âgée plus avant, afin que la vue de son agonie terrifiât la plus jeune. Mais l'héroïque fille continua à prier et à chanter des psaumes, jusqu'au moment où les vagues étouffèrent sa voix. Cela se passait en 1G85. A la chute de Jacques II, une grande multitude alla ensevelir, avec recueillement, les têtes et les mains des martyrs qui étaient exposées sur les portes d'Edimbourg. Quand un peuple vit dans ces angoisses et ces colères, il n'y a point de place en son àme pour des rêves de littéra- ture. La Révolution de 1688 amena la fin de ces temps douloureux. Peu à peu les esprits se détendirent, dépouillèrent leur obstination farouche, entr'ouvrirent leur dure austérité, laissèrent s'approcher, péné- trer même des idées ailées et gaies, avant-courrières de l'art, et premières abeilles qui entrent bourdonner un instant dans les chambres froides encore de l'hiver.