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l'^nfin, aii-dolà et au sommet des degrés (jue nous avons parcourus, se trouve une conception générale de la Nature considérée comme un tout, et de nos rapports avec elle, une métaphysique de la Nature, avec son iniluence sur notre destinée. On peut dire (|ne cette conception a envahi la poésie moderne. Dans la littérature aniilaise, comme dans les autres, elle remplace presque entièrement l'élément religieux. Celui-ci ne se trouve plus à l'étal pur <|ue dans des poètes secondaires, comme Mont- goraery, Pollock ou Keble ; ou, s'il se rencontre <chez des poètes principaux comme Cowper, il n'y occupe qu'une place secondaire et ec n'est pas par lui qu'ils sont grands. Si Cowper ne possédait pas l'élément humain il ne serait pas beaucoup au-dessus de Young. Le sens religieux qui persiste dans Wordsworth s'est ranimé et rajeuni en se combinant avec une conception de l'univers ; et pour certains poètes comme Shelley, cette conception a été toute une religion. Pour tous, bien qu'à des degrés divers, la vie humaine n'apparaît qu'à travers un système du monde, et pour quelques-uns elle y disparait. Ce qui reste de mysticisme, de vénération et d'attente confiante, dans la poésie moderne, n'existe que mélangé à une philosophie de la Nature. C'est là seulement que les ])oètes de notre temps puisent leurs plus hautes inspirations ; là seulement qu'ils ont trouvé les paroles d'enseignement supérieur et sacré qui semble indispensable à toute grande poésie. C'est là que les espérances de In Memoriam ou des Contemplations se suspendent. Pour quelques-uns, il y a la Nature sans religion ; pour personne, il n'y a plus de Religion sans l'aide de la Nature.
Ces divers systèmes ont trouvé leur expression dans la poésie moderne. La plus répandue peut-être et, dans notre poésie occidentale, la plus ancienne, est la conception théologique. Elle consiste à considérer le jeu en quelque sorte mathématique des lois naturelles, à admirer la succession des saisons et le cours régulier des astres. Les mondes loin- tains, dont les orbites d'or pareils à des ressorts célestes se meuvent avec une immortelle précision, y tiennent une place importante. L'Univers apparaît comme un mécanisme qui décèle un ouvrier d'une puissance et d'une sagesse infinies. L'idée du Créateur et principalement du Régula- teur efface celle de la Création ; la pensée de la Divinité se substitue à celle de la Nature, et presque toujours la description poétique se termine par un hymne à l'Invisible. C'est la conception chrétienne, celle des esprits religieux, comme Fénelon ou Lamartine ^ le lieu commun d'une innombrable quantité de prédicateurs. Dans le domaine plus restreint de la poésie anglaise, c'est la conception de Thomson et celle de Cowper 2.
1 La fin de l'Homme ; La Prière ; Dieu.
"^ Voir l'Hymne qui termine les Saisons de Thomson. Lire, dans Cowper, les 170 derniers vers de Thç Winter Morning Walk.