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résulte un défaut de vérité, de solidité : des paysages en l'air et sans soutien, auxquels manquent la substance et le fond, semblables à des vêtements dont on ne peindrait que les broderies et les perles. Le seul Wordsworth est resté dans l'exacte mesure. Ces qualités et ces défauts, Burns ne les a pas; il n'a pas la façon moderne de peindre la nature. Il se contente, on l'a vu, des effets les plus ordinaires ; il les prend simplement par oii ils se présentent à tous ; il les rend d'un trait rapide et simple. Pour toute la partie pittoresque, il n'appartient en rien, pas même de très loin, à l'école moderne.

Au-delà de cette observation raffinée et aiguë des faits naturels, il y a une communication, un échange entre l'homme et les choses. L'homme donne à la Nature une interprétation humaine. Il lui prête des sentiments, un caractère. Il la peint, comme l'a dit un écrivain de nos jours , avec des épithètes morales K Cette façon de l'animer peut être faite dans deux sens différents.

Certains poètes se contentent de jeter sur la Nature leur émotion du moment. Elle s'assombrit ou s'égaie, selon qu'il sont eux-mêmes tristes ou joyeux ; elle prend la teinte de leur âme. Elle ne détient rien de son propre fonds, ni signification, ni caractère. Elle attend, pour savoir ce qu'elle ressentira, que nous le lui disions. Un site n'est ni mélancolique ni riant par lui-même ; il devient l'un ou l'autre selon l'homme qui y apparaît. Le même site, visité par deux hommes dont l'âme est agitée d'émotions opposées, aura des aspects opposés. La Nature n'a pas d'expression ; elle n'est qu'un écho qui répète les choses qu'on lui dît, pleure ou se réjouit selon les paroles qu'on lui jette ; elle attend de nous son mot d'ordre.

Puisqu'elle est si docile à leurs modifications , ces poètes prennent la Nature pour confidente. Ils lui racontent leurs secrets; ils lui révèlent leurs chagrins, en lui demandant d'y prendre part. Ils la chargent de commissions dont les ruisseaux, les vents et les Heurs s'acquittent 2. Ils lui recommandent de garder le souvenir de leurs amours.

lac, rochers muets, grottes, forêt obscure, Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir Gardez de cette nuit, gardez, belle Nature, Au moins le souvenir 3.

Comme si le seul souvenir que garde la Nature de nos amours, n'était pas celui que, depuis Virgile, les amoureux gravent dans l'écorce des

^ Renan. Souvenirs de Jeunesse. Issy.

2 Voir un exemple de ces demandes dans Maud de Tennjson, etdans un poème, qui est d'ailleurs une imitation de Maud, dans Gwen de Lewis Morris.

3 Lamartine. Le Lac.