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chêne, au bord d'un ruisseau, voit arriver un cerf mourant '. L'animal gémit, « les grosses larmes rondes se poursuivent l'une l'autre sur son muffle innocent et tombent dans le courant rapide. » Jacques, ce cœur original et bon, peut-être le plus surprenant personnage de Shakspeare, s'afflige, moralise et s'emporte contre la cruauté des hommes.
Jurant que nous sommes De purs usurpateurs, des tyrans, ce qu'il y a de pire. D'effrayer les animaux et de les tuer Dans leur demeure assignée et naturelle 2.
Mais cette pièce de la Forêt des Ardennes est, pour le sentiment, un inconcevable anachronisme, elle va presque jusqu'à Wordsworth ; cette compassion des bètes souffrantes n'est qu'un des étonnements qu'elle renferme. Il n'en est plus question ensuite de cette pitié ; il est facile de voir combien elle avait complètement disparu. Pope, qui appartenait au « féroce spiritualisme cartésien ^ », et n'avait pas su lire le discours de La Fontaine à Madame de la Sablière, voit tuer des oiseaux dans la forêt de Windsor. Il y trouve matière à quelques descriptions brillantes et sèches. Le chasseur lève son fusil et vise ; un coup de tonnerre éclate et fait tressaillir le ciel glacé. Tandis que dans leurs cercles aériens, les vanneaux criards eftleurent la bruyère, ils sentent le plomb mortel ; tandis que, en montant, les alouettes préparent leurs notes, elles tombent et laissent leurs petites vies en l'air. Pope voit tomber un faisan, et il le peint en jolis vers, aussi éclatants que le plumage de l'oiseau.
1 La Renaissance, dans sa large sympathie pour toutes les formes de la vie, était plus capable de sentir cette pitié. Même dans un livre de chasseur on trouve un peu de la compassion de Jacques pour le malheureux cerf blessé. Dans Le Plaisir des champs, de Claude Gauchet, achevé d'imprimer en 1583, on trouve ces vers presque émus :
Le cerf désespéré paravant qu'il endure
La mort, tant de ses pieds que de sa teste dure
Donne encor' à travers et, voulant se venger,
De doux il se fait voir cruel en tel danger,
Et aux chiens plus hardis en ceste part et ceste.
Battant la terre aux pieds, il oppose sa teste. . .
Le cerf sentant le fer Luy traverser le flanc, pour, pauvret, se sauver. Du bras qui, relançant la sanglante allumelle, Veult le blesser encor' d'une playe nouvelle, Se remet à fuyr ; mais blessé et lassé, Il ne peut courir loin qu'il ne soit terrassé. Alors le pauvre cerf voyant sa dernière heure, • Non sans faire pitié, à grosses larmes pleure ; Puis estant derechef de l'estoc transpercé Chancelle, quatre pas et tombe renversé.
(L'Esté, page 20T de l'édition Prosper Blanchemain). Sur la tendresse de certains poètes de l'Antiquité, en particulier de Lucrèce et de
Virgile pour les animaux et les plantes, voir Hisloire du Sentiment Poétique de la
Nature dans l'Antiquité, par Ém. Gebhart, p. 111-12 et 132-34.
2 As You Like it, Acte 11, scène i.
3 Le mot exact de M Renan est « bien éloigné de la férocité du faux spiritualisme cartésien-». Nouvelles études d'histoire religieuse, p. 332.