— 309 —
amours profonds, il manque de concentration et de continuité. Il est disséminé, éparpillé ; allant à tout le monde, il n'a appartenu à personne. Obligé de se recommencer à chaque fois, il a continuellement repris des départs, et n'a pas dépassé la période de nouveauté. Il a toute la vivacité, mais aussi l'agitation un peu superficielle des débuts. Il n'a pas été jusqu'au bont ; il n'a pas connu les états successifs : la calme possession, la sérénité, le mariage harmonieux de deux vies. Il n'a pas su même combien prend de force la passion qui se porte sur un seul point. « J'ai déjà vu, dit Pétrarque, une petite goutte d'eau user, par une incessante persévé- vérance, le marbre et les pierres les plus dures ^ ». Et son doux amour finit par faire une impression plus profonde que d'autres plus violents. Celui de Burns, ainsi qu'une pluie secouée par le vent, a dispersé de tous côtés ses gouttelettes brillantes. Cet éparpillement de son amour en mille amours a ôté à chacun d'eux toute durée. Ils sont courts d'haleine. Ses pièces ne sont que des notations d'émotions, quelquefois violentes, mais passagères; et cela entraîne un défaut d'ensemble. Le soutien, la force groupante de la constance manquant, toutes ces impressions restent détachées, étrangères les unes aux autres, éparses au hasard. Elles y perdent de la beauté, non pas celle des détails qu'elles possèdent achevée, mais une certaine beauté collective qui leur donne un intérêt général et une signification plus large qu'elles. Ce sont des Heurs tombées au pied de l'arbre. Elles sont délicates et ont de fraîches couleurs ; elles n'ont pas l'émotion commune, l'harmonie de celles qui se pressent sur une même branche et que le vent fait frémir ensemble. Certes, ce n'est pas là un de ces amours qui se terminent par le triomphe ou la défaite d'une âme, qui l'anoblissent ou la brisent, et lui donnent la beauté d'avoir vaincu la douleur ou le charme de la chérir. De tels amours, s'ils déchirent une vie, l'ouvrent de sillons qui ne restent pas stériles. 11 en sort de hauts efforts ou une grande charité. Celui de Burns n'a pas eu d'action réelle en lui, n'a pas pénétré. Sa vie n'en a été affectée qu'extérieurement, par les résultats matériels et les fatalités de situations dans lesquelles l'entraînait la légèreté même de ses aventures.
Qu'était-ce donc que cet amour dans sa source invisible au fond de la poitrine? C'était moins de l'amour qu'un grand besoin d'aimer. Il était tout intérieur, plutôt produit par une impérieuse aspiration que par aucun attrait du dehors. Une célèbre mystique prétendait qu'il y avait en elle une telle plénitude de grâce, qu'elle se comparait à un bassin d'oîi l'eau surabondante rejaillit et se répand ^. Il en était un peu de même de Burns. Ce qui s'est manifesté de tendresse chez lui n'était que le surplus
1 'PetTaT(i\ie. Sonnets et Canzones pendant la vie de Madame Laure. Sonnet CCV. (Traduction Francisque Reynard).
2 Bossuet. Relation sur le Quiétisme. 11™^ section. Par 5.