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C'était son opinion que, pour bien parler de l'amour, il faut l'avoir éprouvé. « Shenstone, dit-il , observe finement que les vers d'amour sans passion réelle sont le plus fade de tous les jeux d'esprit, et j'ai souvent pensé qu'un homme ne peut être un juge compétent de compo- sitions amoureuses à moins d'avoir été lui-même, en un ou plusieurs cas, un fidèle fervent de cette passion ' ». Si cette théorie est vraie, il y a eu peu d'hommes mieux préparés que lui.

Avec la spontanéité de production qu'avait Burns de traduire, sur le champ, en vers, ce qu'il ressentait, on comprend qu'il soit sorti, de ce travail continuel de son esprit, une quantité considérable de pièces. Et quelle variété ! Tous les sentiments de l'amour y passent et s'y agitent : les premières timidités, les aveux chastes, les rêves d'un instant, les félicités, les angoisses, les reproches, les désespoirs, les douleurs des séparations, les joies âpres et avides des possessions secrètes et rares, les lourdes ivresses des possessions banales, les déclarations jetées en passant comme par un voyageur pressé, les longs souvenirs emportés dans le sang même du cœur, les professions d'inconstance et les serments de tidélité, les humilités et les révoltes en face du dédain, les adorations qui s'adressent à l'àme et celles qui s'éprennent du corps, les enchantements des débuts et les amertumes des fins d'amour, les rêveries très chastes et les désirs semblables à des charbons ardents, les amitiés qui sont à deux doigts de l'amour, et les amours qui prennent le chemin de l'amitié, toutes les extases et toutes les épreuves, toutes les nuances de la passion la plus riche en emportements et en raffinements, un pêle- mêle de tout ce que l'amour peut inspirer de poétique, de délicat, et de brutal à l'ondoyant cœur humain. Et ces sentiments se jouent, se réper- cutent, se multiplient, dans toutes les situations où une imagination infatigable et un cœur qui l'aurait fatiguée ne cessaient de s'aventurer, chacun de son côté : fiançailles, abandons, séparations par la mort ou l'éloignement , adieux , retours , absences qui rougissent les yeux de l'épouse, l'amour légitime, l'adultère, la naissance d'enfants dont se réjouit le foyer, la venue de ceux qu'aucun foyer ne connaîtra, tous les dangers, toutes les folies, dans lesquels la passion toute puissante pousse les hommes. De t^lle sorte qu'on rencontre dans cette partie de l'œuvre de Burns , tous les accidents , toutes les variantes qu'il est possible d'imaginer, et qu'on en composerait une anthologie où se déroulerait la gamme entière des sentiments et des situations de l'amour.

Comment choisir dans ce nombre de pièces souvent aussi parfaites les unes que les autres? Comment surtout les répartir? Elles sont toutes différentes et chacune d'elles a son originalité. Il faudrait presque une traduction complète, et ce ne serait encore en représenter que le nombre.

1 Common-place Book.