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venir et de souffrances pour le genre humain * . Et dans ces souvenirs , aperçus pourtant de la hauteur sereine où plus tard il avait atteint , passent les angoisses et les enthousiasmes de cette époque.

Coleridge, avec moins de précision et sans cette émotion concentrée, rendait exactement les mêmes idées. Ses sentiments, au lieu de prendre la forme d'un récit , qui parfois devient épique dans Wordsworth , s'échappaient en strophes d'un lyrisme tumultueux , auxquelles l'élo- quence ne manque pas non plus. Écoutons retentir, dans une âme d'une sonorité différente, les mêmes impressions.

Quand la France en courroux souleva ses menobres géants,

Et, avec un germent qui émut l'air, la terre et la mer,

Frappa de son pied puissant et jura qu'elle voulait être libre,

Soyez témoins combien j'ai espéré et craint !

Avec quelle joie, ma haute acclamation

Je la chantai, sans peur, parmi une troupe d'esclaves :

Et quand, pour accabler la nation libérée , Comme des démons réunis par le bâton d'un sorcier,

Les monarques marchèrent en un jour maudit. Et que l'Angleterre se joignit à leur troupe cruelle, Bien que ses rivages et l'Océan qui l'entoure me fussent chers. Bien que maintes amitiés et maints jeunes amours Aient gonflé en moi l'émotion patriotique, Et jeté une lumière magique sur nos collines et sur nos bois, Cependant, ma voix, sans trembler, chanta, prédit la défaite A tout ce qui bravait la lance dompteuse-des-tyrans, Prédit un déshonneur trop longtemps différé et une retraite inutile. Car jamais, ô Liberté 1 dans un but partiel N'ai-je obscurci ta lumière, ni affaibli ta sainte flamme ; Mais j'ai béni les pœans de la France délivrée ,

  • Et j'ai penché la tôle et j'ai pleuré sur le nom de l'Angleterre 2.

Ces déclamations oratoires sont loin de la réalité poignante du récit de Wordsworth. A côté des vers du Prélude , ceux-ci sont une écume emportée par le vent. Mais ce vent était puissant. Si la conviction fut moins arrêtée et moins stable dans Coleridge que dans Wordsworth, ce qui dépendait de la nature de leurs esprits, on sent qu'elle était aussi ardente. Et il serait vain de penser qu'ils fussent les seuls à ressentir ces émotions, car Wordsworth a écrit :

« Je trouvai , non pas en moi-même seulement ,

Mais dans les esprits de toute la jeunesse désintéressée,

Le changement et la subversion à partir de cette heure ^. »

1 Wordsworth. The Prélude, Book x.

2 Coleridge. France, an Ode. ^

3 Wordsworlh. The Prélude. Book x.