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rons. Il nous suffit de montrer maintenant qu'elle existait, qu'il ne lui manquait que des occasions pour prendre tout à fait conscience d'elle- même. Ce que nous en rencontrerons encore mélangé à d'autres sujets, en venant se réunir à l'indication que nous en donnons ici, complétera l'idée qu'il est juste que nous en ayions.

C'est d'un tout autre côté qu'il faut chercher la partie noble de la poésie de Burns. C'est dans une région pour ainsi dire plus abstraite, oii sont les idées morales, les sentiments généreux, les hautes aspirations. Ce poète d'une si grande puissance graphique dans la réalité ordinaire, ce peintre si pittoresque dans le comique, perd en partie ces qualités quand il s'élève. Il les remplace par une poésie fière, par des traits énergiques et une ardeur condensée de passion. L'éloquence se substitue à la représentation artistique des choses, les idées générales, les plai- doyers aux tableaux particuliers ; les considérations sur la vie à la vie elle-même. C'est surtout aux idées sociales, aux sentiments humanitaires que s'attache l'esprit de Burns. Il a célébré ou réclamé la liberté, l'égalité parmi les peuples, et le secours fraternel que les hommes se doivent entre eux. Il a pris sa place dans le chœur puissant des poètes anglais qui, à la fin du dernier siècle, ont salué d'accents immortels la Bévolution et ses promesses. C'est un mouvement commun qu'il faut reconstituer dans son ensemble pour comprendre la place qu'y occupe Burns et la note particulière que sa voix a donnée dans cette admirable acclamation. C'est un des plus beaux chapiù-es de la poésie anglaise qu'il nous faut entreprendre de retracer * ,

Cette tendance hunmnitaire et libérale s'était manifestée d'abord dans Cowper. Cette àme timide, que la tendresse pour les malheureux rendait audacieuse, avait attaqué tous les maux que les hommes imposent aux hommes. Il avait réprouvé l'injustice sous toutes ses formes ; maudit l'esclavage, l'oppression et la guerre. Son indignation lui a donné des paroles éloquentes et fortes, qui dépassent le charme familier et moyen de ses pages ordinaires. On se rappelle le passage dans lequel il souhaite une retraite dans quelque vaste solitude, sous quelque immense suite d'ombrages, où les rumeurs de l'oppression et de la fraude ne puissent l'atteindre^. Son cœur souffre du récit des outrages dont la terre est remplie. Avec douleur il se lamente de ce que le lien de la fraternité humaine est détruit, comme le lin qui se coupe touché par le feu. Hélas 1 l'homme enchaîne l'homme, l'écrase de travail, exige sa sueur, avec des coups que la Pitié pleure de voir infliger à une bête. Et il

1 On peut lire sur ce mouvement le beau livre de M. Stopford Brooke, Theology in the EngUsh Poets.

2 Cowper. The Task ; The Time-Piece, vers 1-3-5.