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Cette façon de se quitter, quand on est devenu si intime, est amusante. L'ivrogne s'en va, moins loquace que tout à l'heure. Ce colloque l'a rendu sérieux. Sa familiarité a baissé. Il tire du côté de Lochlea, sans proposer à la Mort de retourner avec lui. Celle-ci monte vers le village, jetant sur la route un long squelette, emportant ses instruments qui luisent à la lune. Elle va à la recherche de Hornbook.
On voit combien le rire est franc dans ce morceau, et en même temps combien l'observation est exacte. Les impressions de l'ivrogne sont suivies dans la perfection et toujours traduites par un geste, par un mou- vement, quelque chose de concret. La pièce courut le pays , et cette fois le coup fut un peu rude. Le pauvre Hornbook fut obligé de quitter le village. Il s'en alla à Glasgow oii il devint, par la suite, clerc de la paroisse d'un des faubourgs de la ville. Il fit presque fortune dans cette nouvelle position et mourut seulement en 1839. C'est une des figures qui nous rappellent que notre génération aurait pu connaître Burns.
Le second morceau est de 1790 ; Burns avait encore cinq ans à vivre quand il le composa ; c'est le célèbre Tarn, de Shanter, c'est-à-dire Thomas de la ferme de Shanter. C'est la seule pièce importante que Burns ait écrite dans la seconde partie de sa vie, après son séjour à Edimbourg.
Ici encore l'histoire repose sur un fondement de réalité et d'obser- vation personnelle. On a retrouvé tous les personnages. Cette ferme de Shanter était occupée par un certain fermier du nom de Douglas Graham, que Burns avait connu pendant son séjour à Kirkoswald. C'était bien l'ivrogne joyeux , irisouciant, et bon enfant, tel qu'il est représenté ; sa femme essayait en vain de le guérir de ses défauts ^ Le camarade de Tam, le savetier John, a existé aussi. Il n'est pas jusqu'à la sorcière en chemise courte, qui n'ait eu son modèle. C'était, paraît-il, une femme, nommée Kate Steven, qui vivait à Kirkoswald et qui mourut en 1811 ^. Les détails de localité sont aussi exacts. La route actuelle est plus à l'est que la route de Tam, mais, en suivant l'ancien tracé, on retrouve et le gué, et la grosse pierre où Charlie se cassa le cou, et le cairn , c'est-à-dire l'amas de pierres oii on trouva le cadavre d'un nouveau-né. Quant à l'auberge de Tam , à la vieille église d'Alloway , au pont du Doon , ils sont tels aujourd'hui qu'ils étaient alors. On peut suivre sur le chemin toutes les péripéties de l'histoire ^.
1 Ghambers. Life of Burns, tom III, p. 152. — Voir aussi, sur Tam de Shanter, le discours prononcé par le D Charles Rogers, à rinauguralion du monument de Burns à Kirkoswald. Ce discours a été publié dans le Kilmarnock Standard du 4 août 1883. Nous tenons à remercier le D Rogers, dont l'autorité est si grande pour tout ce qui concerne l'Ecosse, de nous avoir communiqué ces intéressants renseignements.
2 R. Chambers. Life of Burns, tom III, p. 149.
3 R. Ghambers. Life of Burns, tom III p. liQ-él.