traction morale ; nourrie par la conviction d'une ressemblance de certains sentiments communs à travers des siècles, qui est la seule source où nous puisions, par analogie, la sympathie et l'intelligence des hommes anéantis. La preuve en est que les pages qui ont conservé leur valeur, dans le remarquable ouvrage auquel nous faisons allusion, sont des pages de reconstitution pittoresque ou morale, pittoresque le plus souvent. C'est simplement la mise en œuvre de renseignements complétés par des conjectures personnelles ou par la logique admise de certaines passions, travail purement dramatique et artistique, travail de tout point semblable à celui d'un peintre qui achève une mosaïque dont il relie les fragments. En d'autres termes, ce sont des tableaux, des descriptions et des commentaires. Encore ces pages seraient-elles plus vraies, plus dignes de foi, plus complètes et surtout plus humaines, si, au lieu d'être tordues et étirées par une arrière-pensée, elles s'étaient simplement modelées sur la réalité et n'avaient eu d'autre prétention que d'être descriptives. En fin de compte, le système a abouti à quelques passages de critique littéraire qui eussent mieux été écrits sans lui.
Et ceci est hors de doute, car, même à ce point de vue plus étroit, cette méthode est pleine d'inconvénients. Elle appauvrit la critique, et pour deux raisons bien manifestes. Elle laisse dans l'ombre les caractères largement humains, catholiques, des œuvres d'art ; elle oublie le fonds de passions communes, liées à l'indestructible permanence des instincts : amour, jalousie, dévoument maternel, haine, ambition, qui sont la matière des littératures, pour ne retenir que les modes locaux dans lesquels elles se manifestent, et quelquefois les moyens d'action. Un Français qui, par jalousie, tue une femme, à coups de revolver, dans un faubourg de Paris, est à peu près dans le même état d'âme qu'un Arabe qui en tue une, à coups de poignard, dans une ruelle de Biskra. Il importe peu que l'un ait un veston et l'autre un burnous. L'orage intérieur a été le même ; s'ils pouvaient expliquer ce qu'ils ont éprouvé, les tracés de leurs mouvements passionnels seraient sensiblement les mêmes et peut-être l'expression n'en serait-elle pas très différente. Il existe des Othellos de toute nuance de cheveux. Il y a plus de ressemblances entre deux hommes de races différentes et de même tempérament qu'entre deux hommes de même race et de tempéraments différents. Et si cette méthode manque de largeur d'un côté, elle manque de précision à l'autre extrémité. Elle perd le détail, les nuances, l'accent personnel, l'originalité individuelle qui est la marque et pour ainsi dire la découverte d'un génie. Elle laisse de côté ce quelque chose de spécial qui le constitue. Dans l'étude d'un homme exceptionnel, il faut démêler, détacher et déterminer le qnicl propriutn. Encore nos pouvoirs d'analyse et nos ressources de notation nous trahissent-ils bien avant que nous arrivions à cette essence. C'est pourquoi nos jugements sur les esprits sont toujours insuffisants, misérablement flottants, comme