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et, avec tous ses défauts, notre plus délicat, sinon notre plus robuste, car Yorick et le caporal Trim, et l'oncle Toby, n'ont pas encore de frère sinon en Don Quichotte, bien qu'il soit bien au-dessus d'eux. Cervantes est à la vérité le plus pur de tous les humoristes, tant son humour est doux, génial, plein ^ et cependant éthéré , tant il est d'accord avec l'auteur et avec toute sa noble nature ^ » On voit jusqu'où s'étend la région de l'humour, et quel petit espace les définitions y occupent çà et là.

Si donc, comme l'a bien marqué M. Scherer, une définition de l'humour consiste à dégager ce qu'il y a de commun chez tous les écrivains qu'on désigne sous le nom d'humoristes ^, elle devra être assez large pour accueillir tous ces noms. C'est une vaste auberge oii pourront se ren- contrer les joyeux et les tristes, les misanthropes et les indulgents, les logiciens et les fantaisistes, les sages et les fous, Swift avec Goldsmith, Rabelais avec Charles Lamb , Aristophane avec Sterne , Chaucer et La Fontaine et Dickens, Falstaff, Mercutio, Hamlet, Sancho Pansa, une foule disparate de gens de tous pays, de toute condition, de tout âge, et de toute humeur.

Qu'ont-ils donc de commun ? Un trait qu'il est impossible de ne pas saisir au premier coup d'oeil : la moquerie. Quels qu'ils soient, paysans, curés, prosateurs, poètes, ignorants, lettrés, ils sont tous en ceci pareils, c'est qu'ils raillent. C'est la caractéristique de leur esprit et de leur physionomie. Regardez-les , même ceux qui affectent le plus austère sérieux ; n'oht-ils pas tous au coin de la lèvre ou du regard quelque chose de narquois ? Sur toutes ces figures, depuis la face joyeusement épanouie de Rabelais jusqu'à la face amèrement contractée de Swift, la moquerie s'étale ou se trahit ; elle parcourt tous ces visages, du rire plantureux de Falstaff, au sourire mince et sec de Voltaire, et à celui imperceptible et attendri de Charles Lamb. Allez dans cette foule, vous y trouverez toutes les variétés de la raillerie : le sarcasme amer de Swift, la gausserie gigantesque de Rabelais, le persiflage aigu de Voltaire, l'ironie sournoise de La Fontaine, celle souriante de Goldsmith, le badi- nage charmant de Charles Lamb, la causticité coupante de Thackeray, la plaisanterie émue de Dickens, la gouaillerie bouffonne de Falstaff, la satire désespérée d'Hamlet, la goguenarderie niaise de Sancho, le rica- nement diabolique de Méphistophélès, la chanson moqueuse de Mercutio, le rire aérien d'Ariel. Qu'ils se moquent des autres ou d'eux-mêmes ; qu'ils se moquent par méchant cœur ou colère, ou, ce qui est souvent le cas, par pudeur et pour cacher leur émotion ; qu'ils se moquent en par- lant gravement de choses folles, ou follement de choses graves, qu'im-

1 Carlyle. Essay on Jean-Paul Richter.

2 Scherer. Etudes sur la Littérature contemporaine, tom VI. Article sur Laurence Sterne.