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remettait aussitôt ' »; quand Molière représente Tartuffe attirant les regards

Par l'ardeur dont au ciel il poussait sa prière, Il faisait des soupirs, de grands élancements,

quand Beaumarchais s'écrie : «La charmante jeune fille ! toujours riante, verdissante, pleine de gaîté, d'esprit, d'amour et de délices  »; est-ce que, dans chacun de ces cas, l'effet n'est pas produit par un mot. Nous ne disons pas parle sens qu'il contient, mais par sa physionomie particulière, par son allure, quelque chose d'expressif et de pittoresque qui lui est propre. Qu'on remplace n'importe lequel de ces termes par un autre, aussi proche synonyme qu'il soit, tout est perdu, la touche victorieuse se ternit, le tableau s'éteint, la vie s'efface. Cette facture de génie est le propre des grands écrivains. On peut être un grand connaisseur et un grand descripteur d'hommes, dans une langue ordinaire, comme Ben Jonson, Thackeray ou George Eliot, qui sont plutôt des génies d'analyse. 11 faut, pour rendre les éclairs d'expression, les brusques attitudes et les raccourcis de la vie, la langue plus riche et plus inventée de peintres comme Shakspaere, ou Dickens, ou Rabelais, ou Molière.

Burns était de cette dernière lignée. Il avait reçu, à un niveau moins élevé sans doute, le don supérieur de la vie. Non seulement il avait la pénétration qui discerne les ressorts cachés, les motifs sous les actes, non seulement il avait la faculté de le rendre d'un coup et de rassembler dans le regard la personnalité complète d'un individu, mais il avait aussi, cette invention de langage nécessaire pour donner le trait essentiel, dominant, qui groupe tous les autres et en est comme la clef de la voûte. Tout essai pour transporter cette marque de maîtrise est inutile. Dès qu'on y touche, elle échappe. Il est aussi impossible à une traduction de rendre ces vigueurs qu'à une gravure de rendre les touches de couleur. Il faut, dans les deux cas, avoir recours à l'original.

Les personnages qui s'agitent dans ces tableaux remuants sont, grâce à ces qualités, merveilleusement vivants, brossés en quelques coups de pinceau mais qui portent tous. Quelques-uns ne fout que passer dans un vers, on les croise une seule fois comme dans la rue, mais on ne les oublie plus. Et qui pourrait oublier ce brave ivrogne Tarn de Shanter, et le savetier Johnny, son vieux, fidèle et toujours altéré compagnon ? et l'hôtesse qui fait la gracieuse avec Tam, et la femme de Tam qui avait ses raisons pour être d'humeur mauvaise? * Et Tam Samson, le roi des chas- seurs et des pêcheurs, des joueurs de curling, une bonne physionomie de vieux chasseur enrage ? En vain la vieillesse délabrait son corps, en

1 St-Simon. Mémoires. Le czar Pierre à Paris,

2 Molière. Tartuffe, Acte i, scène vi.

3 Le Ma/riage de Figaro, Acte i, scène ii.

4 Tam o' Shanter.