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quelques magistrats. Il y a une distance entre elles et la façon colorée, vivante, infiniment plus complète et plus réelle dont un artiste saisit, ramasse d'un coup d'oeil tout un personnage, et le rend d'un trait ou d'un mot. Pour celle-ci, il faut un don de l'ensemble, une intuition qui saisit l'individu dans sa complexité, et le résume à chaque instant. Et il faut au service de celui-là un don supérieur et tout personnel de rendre. C'est une puissance singulière de langage, un tour de main d'ouvrier qui le plie, le tord, le violente, s'il le faut, et le modèle. Ce sont des inventions de style, des touches inattendues et parlantes qui éclairent tout un caractère. C'est ainsi que, chez certains peintres, on peut noter les coups de pinceau décisifs qui font le portrait et le marquent vraiment comme une œuvre de génie.
L'importance de ce maniement tout personnel de la langue est très grande. Il est aisé de s'en assurer. Quand Villon représente de pauvres orphelins « tous despourveus et dénuez comme le ver ^ », des pendus, « plus becquetez d'oiseaux que dez à coudre ^ », ou son ami Jehan Cotard qui, lorsqu'il avait bu du plus cher, marchait s'allant coucher « comme un vieillard qui chancelle et trépigne ^ » ; quand Rabelais dit : « Nous fûmes attentifs et à pleines oreilles, humions l'air, comme belles huîtres en écailles ^ » , ou « à ces mots, les filles commencent à ricasser entre elles, Frère Jean, hannissoit du bout du nez comme prêt à roussiner ^ » ; quand Régnier, qui est plein de ces trouvailles, parle de son habit « partout cicatrice ^ », de dames qui « se fondent en délices à lire de beaux écrits ' », quand il montre un jeune fat en train de :
Se tasser sur un pied, faire arser son épée, Et s'adoucir les yeux ainsi qu'une poupée 8.
ou qu'il écrit :
Trois vieilles rechignées Vinrent à pas contez comme des airigaées 9.
quand St-Simon, dans son puissant crayon de Pierre-le-Grand, après avoir peint le visage, parle « d'un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démoîitait le visage et toute la physionomie et qui donnait de la frayeur. Cela durait un instant, avec un regard égaré et terrible, et se
1 Villon. Petit Testament, strophe xxv.
2 Villon. UEpitaphe en forme de Ballade.
3 Villon. Grand Testament. Ballade et Oraison. i Rabelais. Livre IV, chap. 55.
^ Rabelais. Livre IV, chap. 52. 6 Régnier. Satire II, v. 49. ■^ Régnier. Satire II, v. 168.
8 Régnier. Satire VIII, v. 10.
9 Régnier. Satire XI, v. 33.