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Leurs cœurs de pierre avant la nuit sont changés,

Et aussi doux que n'importe quelle chair.

Il y en a qui sont pleins d'amour divin,

Il y en a qui sont pleins d'eau-de-vie, Et plus d'une chose ce jour-là commence Qui finira par un accouchement, Quelque jour!

Cette foule bariolée qui s'agite, se rencontre, se remue, se mélange, se disperse, toute cette journée, grouillante du petit jour à la nuit close, donnent bien l'idée de la manière de Burns. Wilkie y aurait pu trouver vingt motifs de tableaux ; mais il n'aurait pu en rendre la fougue.

Avec le mouvement , qualité si rare en littérature, Burns en possède une autre qui est plus rare encore : la gaîté. La vie, pour lui, n'est pas morose, ennuyée ou désolée. Il a aimé à vivre, et s'est vraiment réjoui d'exister. Il a connu la joie d'être, la gaité exubérante et folle, le don magnifique du rire. Un rire sain, bruyant, communicatif, expansif, court dans toute son œuvre, éclate à chaque strophe, ajoute sa sonorité à l'activité qui s'y agite partout. C'est un rire sans réticence, sans arrière-pensée, qui part de bon cœur, s'épanouit à pleines lèvres, s'anime dans des jeux de bouffonnerie et de drôlerie désopilantes, au spectacle des choses. Ce n'est pas le sourire ; c'est le gros, le vrai rire, le rire bon enfant, de belle humeur, sans amertume, le rire des grands rieurs, signe de santé et de force dans un esprit. Car si la gaîté, la gaité bruyante, n'est pas l'état définitif de l'âme ; si l'affaiblissement de la vitalité, le regret des affections perdues, l'inévitable réflexion que ce qui semble si long aux jeunes, est bref comme nous-mêmes, si toutes les méditations de l'expérience la tempèrent et l'éteignent peu à peu, elle n'en est pas moins, comme l'amour, une des phases qu'ait à traverser une existence bien constituée ; elle est nécessaire à une représentation complète des hommes. Elle est souvent la, récompense des gens qui ne se dérobent pas à la vie. Burns doit cette grande qualité à ce qu'il a été un poète qui a connu l'action et non un poète méditatif. Il a oublié, dans l'activité de la vie, sa brièveté. Ceux qui ne sq livrent pas à elle et la regardent ne peuvent se défendre de mélancolie. Celui qui rame et jette ses filets sur la rivière a moins le sentiment qu'elle fuit, que ceux qui la contemplent assis à l'extrémité d'un promontoire.

Ces qualités d'observation exacte et étendue ne suffiraient pas à faire un véritable artiste. Elles ne sont que les conditions premières, les dessous de la production. Elles la supportent, mais il faut leur ajouter quelque chose. Par elles-mêmes, elles peuvent procurer la connaissance abstraite et générale ^u cœur humain, à la façon des moralistes, ou la pénétration froide et limitée des diplomates, des gens de police et de