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cieux, des scènes et des mœurs différentes de celles au milieu desquelles il vivait. C'est le fait de poètes de culture, comme Wal ter Scott, Southey, ou Thomas Moore, de tenter de vivre au Moyen-Age, en Espagne, ou en Perse, et d'écrire Marmion, Roderick ou Lalla-Rook. Impuissants à pénétrer la réalité qui les environne, ils ont eu besoin de l'éloignement pour embellir la vie, et il ne reste guère, dans ces œuvres factices, que ce qu'ils y ont mis de description ou de lyrisme, c'est-à-dire de poésie personnelle. Ce sont des tours de force de lettrés. La pensée d'une pareille tentative ne pouvait même pas se présenter à l'esprit de Burns. Il a rendu simple- ment ce qu'il voyait, ce qu'il avait devant les yeux, la réalité qu'il touchait, les hommes et les femmes auxquels il parlait et dont il sentait, pour ainsi dire, le cœur battre sous sa main. Il a peint la vie des paysans dans une petite paroisse écossaise, à la fin du xviii® siècle.

Aussi y a-t-il tout un coin de son œuvre par lequel il est un poète purement national, et presque purement local. Une partie de sa gloire est comme engagée dans les manières et les mœurs de son pays, et même de son district. Il faut quelque effort aux Anglais eux-mêmes pour la retirer de ce qu'elle a d'écossais. Bien plus, il y a telle de ses pièces, comme Halloiven , qui est faite de superstitions si particulières que Burns dut y mettre des notes explicatives, lorsqu'il publia ses poèmes, destinés pourtant à des lecteurs du Comté d'Ayr. A plus forte raison faut-il aux étrangers une étude pour arriver à saisir et à goûter la part de son génie appliquée à ce point. Il faut avoir regardé les joueurs de curling, jouer sur les lacs gelés leur jeu bruyant, pour comprendre certaines de ses images ^ . Il faut avoir mangé du Jiaggis, ce singulier plat national, composé d'entrailles de mouton hachées, mélangées avec de la farine et du suif, puis liées fortement et bouillies dans un estomac de mouton ; il faut l'avoir vu arriver sur le plat lourd, suintant une riche rosée semblable à des grains d'ambre ; il faut avoir vu le couteau s'enfoncer dans ses flancs, et d'un seul coup, le jus s'échapper et la fumée monter, pour comprendre ce qu'il y a de poésie de lourde boustifaille, à la Rabelais, dans son Adresse à %m Haggis "^ . De même il faut avoir mangé des scones , ces souples gâteaux de farine, ou vu, dans ta confection de la soupe qu'on appelle un hotch-potch,les grains d'orge culbuter et danser au milieu des choux et du bœuf, pour se rendre compte du charme familier des endroits où il parle de ces mets nationaux ^. Il faut être Ecossais pour goûter ces éloges répétés du whiskey, ou tout au moins avoir vu des Ecossais prendre le soir leur toddy pour le comprendre de loin ^. De tous côtés, ce sont des allusions à des faits si précis et si minutieux qu'il faut

1 Tain Samson's Elegy. ^ To a Haggis. 3 Scotch Drink.