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on ne sait rien de lui. Ne sent-on pas qu'il serait plus facile de donner la formule de l'esprit de Corneille que de Molière ? Cette façon de traiter les choses peut fournir un art très fier et très noble, comme celui de notre xvii® siècle. Elle est élevée ; mais elle est limitée. Elle n'est pas en contact direct avec la vie ; elle enlève aux œuvres de la précision et de la variété. Elle ne connaît que les sommets qui sont toujours étroits. Avec cet idéal, on peut être un grand orateur, un grand poète tragique, admirable dans les situations nobles, les plaidoyers moraux, et les analyses psychologiques générales ; on ne saurait être un peintre très complet et très fidèle de la vie réelle. L'éducation qui le développe dans les esprits y diminue, en tant qu'elle agit sur eux, la faculté de saisir la vie sur le fait.

La discipline littéraire est encore nuisible et restrictive en ce qu'elle empêche l'écrivain de se livrer sans arrière-pensée à la joie de repro- duire simplement ce qu'il voit. La pensée d'un idéal à atteindre, d'une perfection irréalisable, le trouble, l'inquiète, le tourmente et le contraint. Cette gêne nuit au naturel, à l'aisance, et à la familiarité de la forme. Celle-ci prend une perfection et une beauté par elle-même, indépendante des choses qu'elle représente, et, par là encore, achète sa hauteur au prix d'un peu de vérité. Aussi, c'est un fait remarquable que les plus grands peintres de réalité que l'Angleterre ait eus : Chaucer, Shakspeare, Bunyan , Dickens , sont tous des hommes sans éducation littéraire. Fielding fait seul exception. Mais il s'en était affranchi, en vivant beaucoup et en roulant le monde. Il se rapproche par là de Cervantes et de Molière, deux autres grands montreurs d'hommes, qui n'ont jamais cherché à faire acte de perfection littéraire, mais de vérité.

Il est à peine besoin d'insister sur ce fait que l'idéal littéraire du XYiii*^ siècle était particulièrement contraire, particulièrement funeste à une représentation sincère et complète de la vie. En Angleterre, comme en France, c'était un idéal d'élégance classique. Le goût des choses distinguées, une préférence pour les déclamations générales et le poli du style, dominaient. L'esprit académique y était même plus souverain que chez nous ; il y avait pris plus récemment le pouvoir et ne donnait pas encore les signes de fatigue d'un long règne. La vie de Burns coïncide, précisément, avec son moment le plus brillant. Pope était mort en 1744, quinze ans à peine avant la naissance de Burns. Quand celui-ci naquit, le D"" Johnson, la personnification du style classique, arrivait à la royauté littéraire qu'il devait exercer sur la dernière moitié du siècle. Quand Burns mourut, il y avait seize ans que le vieux docteur était mort, mais presque tous ses amis existaient encore et son prestige lui survivait. C'était une période dangereuse. Et Johnson lui-même n'était-il pas un exemple frappant de la façon dont un idéal littéraire peut guinder et rétrécir un esprit ? Il y avait en lui un riche fonds d'obser-