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des idées de sujets. Maniés par les mains vigoureuses de Burns, les mêmes motifs, minces et délicats chez Fergusson, deviennent riches, s'animent, se chargent de vie, et prennent aussitôt, au lieu d'être des sujets locaux, un intérêt général de sujets humains. La distance qui sépare le plus haut effort de Fergusson, de ce qui n'est pas le chef-d'œuvre de Burns, c'est- à-dire Le Foyer' du Fermier ^ du Samedi soir ^ est, on le verra, incommensu- rable. Les deux pièces n'appartiennent pas aux mêmes régions. Celle de Fergusson est de petite description exacte. Elle n'a ni la grande poésie, ni le noble enthousiasme, ni la portée sociale de celle de Burns. Elle n'a en rien cette plénitude de vie, cette large sonorité de vase puissant, qui résonne quand on touche du doigt l'œuvre de Burns. C'est l'effort d'un enfant heureusement doué et délicat, à côté de celui d'un homme excep- tionnel. Il n'y avait d'ailleurs aucun rapport de nature entre le pauvre écrivain d'Edimbourg et le vigoureux paysan d'Ayrshire. Celui-ci se rapproche bien plus des ancêtres ; il en a la sève et le mouvement, mais il a de plus une passion et une force intellectuelle dont les vieux ne se doutaient pas.

Tels sont l'origine et le développement de ce genre indigène auquel se rattache, on peut dire, la moitié la plus significative et la plus pro- bante de la production de Burns: ses petits poèmes des mœurs populaires, presque toutes ses Épîtres, ses Élégies comiques. Dans quelques mor- ceaux, il a employé l'ancienne strophe de neuf vers, telle qu'elle lui a été transmise modifiée par Fergusson. Presque partout ailleurs, il s'est servi de la petite strophe de cinq vers, la strophe de Robert Semple, qu'il manie avec une étonnante dextérité, et à laquelle il donne toutes les allures, de l'espièglerie à la plus haute gravité. Tam de Shanter et les Joyeux Mendiants, quoiqi^'ils aient une forme différente, relèvent aussi de la même inspira- tion. Toute cette partie de son œuvre sort de ce vieux rameau de poésie écossaise ; elle en est la fleur ou, pour employer un mot de botanique qui en indique mieux les proportions par rapport à la tige qui la porte, le riche et touffu corymbe terminal.

IV.

On voit donc que l'œuvre de Burns est une continuation et comme le prolongement de la poésie populaire de l'Ecosse. On voit aussi le choix qu'il a fait dans les modèles qu'elle lui présentait. Il a négligé les bal- lades, en dépit de l'engoûment que son époque avait pour elles, parce qu'elles sont l'expression d'une vie toute différente de celle qu'il connaissait. Au contraire, il s'est emparé des chansons et des petits poèmes populaires, parce qu'ils s'accordaient avec sa façon de percevoir le monde. Dans chacun de ces deux domaines de poésie, il a pris de