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qui lui ait demandé plus d'une demi-journée de travail. Tam de Shanter fut écrit en une après-midi ; les Joyeux mendiants, en une soirée ; il a lâché, avec ses chansons, une volière de pinsons et de fauvettes, de rossi- gnols et de merles, dont le gazouillis est à jamais charmant, mais il lui suffisait d'ouvrir la cage. Ce n'est pas que ce qu'il a fourni ainsi ne soit de haute valeur et, en quelques points, de premier ordre. Mais on conçoit qu'avec un peu de concentration de travail, il eût pu produire de telle façon que ce qui le fait immortel n'eût été qu'un détail, un portail latéral de son œuvre. Sans parler d'ouvrages de plus grande taille, de plus longue haleine et de plus haute visée, et à étendre seulement sa production telle qu'elle existe, quelle ne serait pas, dans la littérature anglaise, la place d'un homme qui aurait apporté un volume de contes comme Tam de Shanter, et un autre de scènes comme les Joyeux mendiants ou de tableaux comme la Foire sainte'^ Par manque de vouloir, il lui est arrivé, comme à Coleridge, que sa gloire n'est pas ce qu'elle aurait pu être. Que cette vie est loin de la belle architecture des vies deMilton, de Gœthe ou d'Hugo, où la voûte s'achève et dont l'arcade est parfaite ! Lui-même en avait conscience, et il l'a dit dans des termes frappants de vigueur et de beauté. «Ma vie m'a fait penser à un temple ruiné : quelle force, quelles proportions dans quelques parties ; quelles brèches misérables, quelles ruines éparses dans d'autres ! ' » Hélas î ce n'était pas un temple ruiné ; c'était un temple inachevé.

Il s'était bien jugé lui-même. Dans une })rière qu'il a intitulée VBpitapke d'un Poète, il a proclamé, avec sa franchise ordinaire, ses torts et ses égarements. C'est un résumé admirablement exact et, par là, touchant de sa destinée.

Existe-t-il un niais mené par des caprices, Trop vif pour réfléchir, trop ardent pour obéir, Trop liniide pour clierclier, Irop fier pour flalter ?

Qu'il approctie d'ici, Et que, sur ce tertre lierbeux, il chante dolemraent Et verse une larme.

Existe-t-il un poète de chanson rustique,

Qui passe obscur dans la foule, Dont chaque semaine s'emplit ce cimetière?

Oh ! qu'il ne passe pas outre, Mais qu'avec un senlimeni fort et fraternel, Il pousse ici un soupir.

Existe-t-il un homme dont le clair jugement Peut enseigner aux autres à diriger leur course, Et qui, lui-même, court follement la carrière de la vie, Effréné comme une vague ?

' Ta Clarinda, 19th Jan. 1788.