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colères étaient terribles. Cette force d'impulsion le mena par saccades, devançant les réflexions, et précédant les remords. Mais il lui doit ce mérite qu'il fut toujours sincère et franc. C'est une qualité que ses enne- mis même lui reconnaissaient et que lui reconnaissent encore ceux de ses biographes qui sont le moins disposés à l'indulgence envers lui. Avec ce mélange dangereux de qualités et de défauts, on pourrait lui appliquer les vers qu'il avait écrits sur un homme dont la nature n'était pas, à certains égards, sans ressemblance avec la sienne, sur Charles Fox :

Doué d'un savoir si vaste et d'un jugement si ferme, Qu'aucun homme, avec la moitié, ne pourrait aller de travers ; Doué de passions si puissantes et de caprices si l)rillanls. Qu'aucun liomme, avec la moitié, ne pourrait aller droit i.

Pour modérer et diriger ces violences, il aurait fallu une solide disci- pline morale. Elle lui fit défaut entièrement : il n'eut pas de doctrine et il n'avait pas de volonté. Il fut constamment le jouet de ses passions. 11 ne s'est pas une fois retourné contre elles, pour leur tenir tête. 11 n'a jamais eu de consolidation de caractère. Il a été, en somme, une nature de réceptivité, avec des réactions très énergiques. Son cœur a été un carre- four où les vents de tous les horizons ont passé, se sont rencontrés et com- battus. La ligne de sa vie est le tracé brisé d'une suite de hasards et d'acci- dents. La vivacité incomparable delà sensation actuelle, qui est la grande qualité de sa production littéraire, fut le grand vice de sa conduite. Il était saisi, entraîné par elle irrésistiblement. Les émotions, en passant par lui, l'emportaient. Il appartenait toujours tout entier au présent, sans souci de l'avenir et, quelquefois, sans assez de souvenir du passé. De là des moments où il semble qu'il ait eu l'oubli trop facile, des revire- ments brusques qui ont un air d'ingratitude , comme dans ses vers contre Mrs Riddell. Sa générosité elle-même n'existait que dans ce qu'elle a de spontané et d'impulsif. La générosité prolongée et réfléchie, le sacrifice, n'apparaît pas en lui. A peine peut-on dire qu'elle se fait jour dans son mariage avec Jane Armour. Encore fut-ce là un acte si soudain qu'il peut être considéré comme une impulsion : on sait d'ailleurs ce qu'il dura. Il a été comme un arbre qui jette son feuillage à toutes les rafales, faisant naître de lui-même des tourjjillons, dans lesquels il est perdu et (jui lui dérobent le ciel.

Comme sa personnalité était forte et dominatrice, cette soumission aux exigences des instincts ou des imaginations l'a souvent conduit dans ce qui fut le défaut de sa vie : l'égoïsme. C'était un généreux égoïste, un homme à tendances dévouées mais à conduite personnelle. Il lui a manqué l'oubli de soi-même, le sens, nous ne disons pas du dévouement,

1 Sketch inscriOed to Charles James Fox.