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dangereusement malade et qu'il n'est pas vraisemblable qtie j'aille mieux. Un rhuma- tisme invétéré m'a réduit à un tel état de faiblesse, et mon appétit est si complètement disparu, que je puis à peine me tenir sur mes jambes. Je suis depuis une semaine aux bains de mer et je resterai ici ou chez un ami à la campagne, pendant tout l'été. Que Dieu garde ma femme et mes enfants ; si je leur suis enlevé, ils seront pauvres, eu vérité. J'ai contracté une ou deux dettes sérieuses, en partie par suite de ma maladie qui dure depuis bien des mois, en partie par suite de dépenses irréfléchies, quand je suis venu en ville ; cela leur enlèvera trop du peu que je leur laisse entre vos mains. Rappelez-moi à ma mère i. »

C'était son dernier baiser à la pauvre vieille mère qui avait par lui connu de grands chagrins et une grande fierté. C'était son dernier adieu au bon Gilbert, au compagnon, au confident, au vrai ami de jadis. De ces deux frères qui s'étaient tant aimés, l'un d'eux, homme de génie, se mourait dans le dénûment ; l'autre, homme d'honnêteté et de travail, luttait contre le besoin.

Il se préoccupait de la position de sa femme abandonnée à Dumfries et, le même jour, il écrivait à son beau-père, le maître-maçon de Mauchline :

« Au nom du ciel, si vous avez souci de la santé de votre fille et de ma femme, je vous en conjure, très cher Monsieur, écrivez à Fife, à Mrs Amour, de venir, si elle le peut ; ma femme pense qu'elle a encore une quinzaine devant elle. Les médecins m'ordon- nent, si je tiens à la vie, d'avoir recours aux bains de mer et au séjour à la campagne; il y a dix mille chances pour une que je serai à plus de douze milles d'elle quand l'heure viendra. Quelle situation pour elle, la pauvre fille, sans un ami près d'elle à un moment si sérieux.

Je suis depuis une semaine à la mer, et bien que je croie en avoir tiré quelque bien, j'ai cependant des craintes sérieuses que cette affaire sera dangereuse sinon fatale 2. »

Le 12, il écrivait à Mrs Dunlop, qui laissait maintenant ses lettres sans réponse, ces quelques lignes d'adieu, touchantes, sans amertume, sans un reproche et toutes pleines du souvenir d'une longue amitié :

« Madame, je vous ai écrit si souvent sans recevoir de réponse, que je ne vous dérangerais plus, sans les circonstances dans lesquelles je me trouve. Une maladie qui a longtemps pesé sur moi, en toute probabilité , va bientôt m'envoyer au-delà « de cette frontière d'oîi aucun voyageur ne revient 3. » L'amitié dont vous m'avez pendant de nombreuses années honoré était une amitié très chère à mon âme. Votre conversa- tion et spécialement votre correspondance étaient pour moi liautement intéressantes et instructives. Avec quel plaisir j'avais coutume de déchirer le cachet ! Ce souvenir ajoute une pulsation de plus à mon pauvre cœur palpitant I... Adieu 1!! ^ »

Il laissait paraître par des réflexions mélancoliques, mais très calmes, qu'il n'ignorait pas oîi il en était. Il était allé prendre le thé chez la veuve du

1 To Gilbert Bums. lOtii juij nge.

2 To James Armour. July 10, 1796.

3 Shakspeare. Hamlet.

4 To Air» Dunlop. 12^ July ITSe