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Depuis longtemps déjà sa santé était ébranlée. Les privations de son enfance, ses fatigues de travail et d'amour, la continuité d'émotions d'une véhémence inouïe qui, sans merci, secouaient sa machine, avaient affaibli son corps d'une constitution robuste mais de fonctions désor- données. Ses courses d'Kxcise par les nuits pluvieuses, ses tracas, ses excès de boissons, l'irritation sombre et ardente qui le dévorait, achevè- rent de le délabrer. Dès le mois de juin 1794, il écrivait à Mrs Dunlop :

« J'ai bien peur d'être sur le point de souffrir des folies de ma jeunesse. Mes amis médecins me menacent d'une goutte volante, mais j'espère qu'ils se trompent ^ »

Et six mois après, au commencement de 1795, il lui disait encore :

« Quelle chose pauvre est la vie ! Tout récemment j'étais un enfant ; l'autre jour encore, j'étais un jeune homme, et déjà je commence à sentir la fibre rigide et les jointures raides de l'âge s'emparer rapidement de mon corps -. »

Il n'avait que 36 ans! C'était la vieillesse anticipée, ou plutôt, c'étaient les symptômes de la maladie.

A l'assombrissement que cause chez l'homme la découverte des pre- miers signes de la décadence physique, s'ajouta, vers la fin de 1795, un grand chagrin. Il perdit une petite fille de trois ans qu'il aimait de toute la tendresse que les pères poètes ressentent pour leurs filles. L'enfant était chétive ; on l'avait envoyée chez ses grands-parents, les Armour, pour changer d'air; à l'automne, elle y était morte. On l'avait enterrée dans le cimetière de là-bas, sans que son père piit l'embrasser. Ce fut pour lui un choc douloureux qui l'ébranla encore. Il écrivait à M"^** Dunlop dont le silence prolongé l'attristait :

« Hélas! Madame, je n'ai pas le moyen, en ce moment, qu'on me prive d'aucun des faibles restes de mes plaisirs. Je viens de boire profondément à la coupe de l'affliction. L'automne m'a enlevé ma seule fille et mon enfant chérie, et cela à une telle distance et en si peu de temps qu'il m'a été impossible de lui rendre les derniers devoirs 3. »

Son chagrin paraît dans toutes ses lettres. La petite Elisabeth fait penser à l'Adda de Byron, à la Julia de Lamartine et à la Léopoldine de Victor Hugo. Il semble que cette douleur ait été réservée aux grands poètes de notre temps.

Vers le mois d'octobre 1795, une maladie, demeurée assez mystérieuse, s'abattit sur lui. Lui-même en parle comme d'une forte fièvre rhumatis- male. Currie qui, par ses études médicales, était plus à même de pénétrer dans cette partie de sa vie, et qui avait reçu les confidences du

1 To M's Dunlop. 25lh June n94.

2 To Mrs Dunlop. Jan. Ist , 1795.

3 To Mrs Dunlop. 3lst Jan, n96.