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de la fraîcheur que les visions conservaient dans cette àme ternie par les chagrins et où les excès laissaient si souvent leurs dégoûts. Jamais sa poésie n'a eu plus d'éclat. Sa main d'ouvrier était alors d'une justesse et d'une précision achevées. A cette période appartiennent les dernières pièces à Clarinda, le groupe des pièces à Chloris, l'ode de Bruce à Ban- nockburn, le Retour du soldat, et tant de chansons qui sont de hrefs chefs- d'œuvre. Il n'a rien écrit de plus délicat. S'il a produit des pièces de plus grande force et de plus large allure, il n'en a pas d'un travail plus fini et d'un sentiment artistique plus sûr. Sans doute ce n'était plus la trombe de poésie de Mossgiel, avec son mouvement et son puissant enlèvement des choses; c'était la fin d'une pluie, éparse et calme, quand la lenteur de leur chute donne aux gouttes une forme parfaite et que, par leur dispersion même, elles sont plus pénétrées de lumière, irisées, diamantées, étince- lantes.

Cependant sa renommée continuait à grandir d'un double mouvement : à monter vers les plus hauts esprits et à pénétrer jusqu'aux plus humbles. Dans les rues, non seulement on chantait ses chansons, mais on mettait son nom à des chansons qui n'étaient pas de lui, pour les vendre. « J'ai vu même chanter, par les rues de Diimfries, une couple de ballades qui portaient mon nom en tête comme leur auteur, bien que ce fût la pre- mière fois que je les voyais * ». Sa gloire avait gagné les sommets intel- lectuels du pays. Son nom retentissait au Parlement, dans la bouche d'hommes qui étaient l'honneur de leur temps, comme celui d'un homme qui était l'honneur de son pays. En 1793, Curran, le grand orateur irlandais, s'écriait en parlant de l'Ecosse « qu'elle était couronnée des dépouilles de tous les arts et parée de la richesse de toutes les muses, depuis les profondes et pénétrantes recherches de son Hume jusqu'à la moralité douce et plus simple, mais non moins sublime et pathétique de son Burns2 ». Cet hommage, que nous n'avons vu relever dans aucune biographie de Burns , indique quel rang il avait insensiblement pris parmi les grands noms de son pays. Lockhart raconte qu'un peu plus tard, trop tard puisque Burns venait de mourir, Pitt disait à la table de lord Liverpool : « Je ne vois pas de vers, depuis Shakspeare, qui aient autant l'air de sortir doucement de la nature ^ ». Au moment oii des pensions étaient accordées à des hommes de lettres, de talent moyen, on pou^ ait espérer que quelque chose se ferait pour un des plus surprenants génies de son époque. Quelques-uns de ses admirateurs s'y employèrent. Ce fut en vain. Allan Cunningham raconte que M. Addington rappela à

1 To G. Thomson. Nov. n94.

2 Quarterly Review, N» 308. Octoher 1882, p. 321. .

3 Lockhart. Life of Burns, p. 238.