Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/544

Cette page n’a pas encore été corrigée

— 533 —

Dans la lettre, Thomson avait mis une somme de cinq livres. A coup sûr on ne pouvait offrir d'une manière plus délicate. Il reçut une réponse presque courroucée, oii Burns lui déclarait péremptoirement qu'il ne voulait pas entendre parler d'argent.

Je vous assure, mon cher Monsieur, que vous m'avez vraiment blessé avec voire envoi d'argent. Cela me dégrade à mes propres yenx. Toutefois, le retourner sentirait la pose et l'affectation ; mais quant à continuer ce genre de trafic de débiteur à créancier, je vous le jure par I'Honneur qui couronne la statue droite de I'Intégrité de Robert Burns, au moindre mot à ce sujet, je repousserai avec indignation toutes nos relations passées, et je deviendrai, à partir de ce moment, un parfait étranger pour vous ! La réputation de Burns pour la générosité de sentiment et l'indépendance d'esprit survivra, j'en ai confiance, à tous les besoins que le froid et dur métal peut satisfaire ; du moins, je ferai tout pour qu'il mérite cette réputation ^

On s'est étonné de ces refus de Burns ; il semble naturel qu'il participât aux bénéfices que pouvait rapporter cette publication. On a fait remarquer, non sans justesse, qu'il n'y a pas de différence entre recevoir l'argent de Thomson et recevoir des souscriptions pour ses poèmes ^. 11 serait plus exact de dire qu'il n'y a pas grande différence. Il y en a une légère. Ce n'est pas une même chose d'éditer, pour son propre compte, à ses périls, ses propres œuvres, et de tirer profit de poèmes composés sans idée de gain ; ou de recevoir un salaire pour les pièces qu'on apporte, et d'être payé comme un artisan en poésie. Il n'y a sans doute là rien de très éloigné du peintre qui vend son tableau, ou du sculpteur sa statue. Mais Burns n'avait pas l'idée de la carrière de l'homme de lettres. Il avait toujours composé pour lui-même, par impulsion ; il lui semblait que c'était, comme il le dit, « prostituer » son génie que de s'en servir pour battre monnaie. Et ce sentiment était d'autant plus susceptible que, l'élan de production ayant un peu baissé en lui et ayant besoin d'être excité par le dehors, il fallait absolument que ce mobile fût désintéressé, pour ne pas ressemblera un mobile d'argent. Sa poésie c'était son âme qui s'envolait, il la donnait, il ne la vendait pas, pas plus qu'il n'eût songé à vendre son rire ou son éloquence. Et il y avait encore une autre raison qui lui fait honneur également. Il considérait l'entreprise de Thomson comme une œuvre patriotique, désintéressée, destinée à préserver le trésor musical de l'Ecosse. Il lui paraissait presque sacrilège de tirer profit de ce dévoûment à une des gloires de la patrie calédonienne. C'est comme si on voulait payer à un patriote son patriotisme, et estimer en espèces ses soins, ses démarches, ses discours, pour l'honneur du pays. C'était après tout une noble susceptibilité.

La qualité de cette production était toujours la même; on est surpris

1 To G. Thomson. July 1793.

2 R. Ghambers, tom III, p. 34.