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II faut espérer que Gillespie garda ces vers pour lui. C'est peut-être pourquoi sa cour fut sans succès. Quelque temps après, au commence- ment (le 1793, selon Chambers, Jane Lorimer fut courtisée par un jeune gentilhomme fermier des environs, nommé Whelpdale, qui lui déclara qu'il se livrerait sur lui-même à quelque violence extrême si elle refusait de le suivre. Elle y consentit, après avoir longtemps hésité, poussée par la pitié, le goût du romanesque, et peut-être le besoin d'échapper à son entourage. Ils allèrent se marier à Gretna-Green. Quelques mois après, M. Whelpdale fut obligé, par ses dettes, de se sauver d'Ecosse. Il aban- donna sa jeune femme qui n'eut d'autre ressource que de revenir chez ses parents*.

C'est alors que Burns semble s'être épris d'elle pour son propre compte. Ce n'est pas une de ses grandes héroïnes, dont la liste, sauf une atten- drissante exception, est close maintenant. Elle n'apparaît qu'au second plan de sa vie et pour un moment ; le sentiment (ju'elle lui inspira était superficiel. Cependant cette aventure est intéressante, j)arce qu'elle montre comment il avait fait de l'amour un procédé littéraire, une sorte d'ivresse passagère et volontaire, qu'il se donnait pour s'inspirer. Ses révélations à ce sujet sont des plus curieuses et bien caractéristiques de l'homme. En envoyant à Thomson la pièce qu'il avait jadis écrite pour Gillespie, il lui écrivait :

(( J'espère qu'il (un de ses amis) accomplira une chose qui me donnera haute satisfaction. C'est de vous persuader d'inlroduire Le bois de Craigiebum dans votre recueil ; c'est une chanson favorite, pour lui et pour moi. La dame pour laquelle elle a été composée est une des plus jolies femmes d'Ecosse, et, en réalité, (entre nous) elle m'est, en quelque manière, ce que l'Eliza de Sterne lui était, une maîli'esse ou un ami, ou ce que vous voudrez, dans l'innocente simplicité de l'amour platonicpie. (Tâcliez de ne faire à ce sujet aucune de vos méchantes suppositions et de ne faire aucun bavardage à ce propos, parmi vos connaissances.) Je vous assure que vous êtes redevable à ma charmante amie de mainte des meilleures chansons que vous avez reçues de moi. Pensez-vous que la tranquille routine de l'existence, dans son même manège, pourrait inspirer à un homme la vie, et l'amour, et la joie ; pourrait l'enflammer d'enthousiasme, ou l'attendrir d'une émotion à la hauteur du mérite de votre livre? Non, non ! Chaque fois que je désire m'élever dans mes chansons au-dessus de l'ordinaire, être en quelque degré digne des plus divins de vos airs, vous imaginez-vous que je jeûne et que j'implore par la prière une Visitation céleste ? Tout au contraire ! 2 j'ai une merveilleuse recette, celle-là même que le Dieu des Guérisons et de la Poésie avait inventée pour son propre usage, quand jadis il jouait de la flûte aux troupeaux d'Admete. Je me mets au régime d'admirer une jolie femme, et plus ses charmes sont adoi-ables, plus vous trouvez de plaisir à mes vers. L'éclair de ses yeux est le Dieu du Parnasse et le charme de son sourire la divinité de l'Hélicon 3.

1 R. Chambers, tom IV, p. 96.

2 En français.

3 To George Thomaon. 19»! Oct. l^Qi.