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sont plus rares, mais aussi flamboyants. Alors elles percent tout, la fatigue, la lassitude, l'ivresse même, de leurs éblouissantes clartés. L'alourdissement, qui commence à se former sur ce visage et à aj)pesantir les traits, disparaît comme dans un coup de veut. L'ancienne face reparait transfigurée, mobile, remuée par le passage de toutes les émotions. Ceux qui la voyaient une fois ne l'oubliaient plus. Longtemps après, en 1829, M. Syme écrivait :
« L'expression du poète variait continuellement selon l'idée (jui prédominait dans son esprit, et il était beau de remarquer combien le jeu de ses lèvres iodiquait bien le sentiment qu'il allait énoncer. Ses yeux et ses lèvres, les premiers remarquables pour leur feu, et les secondes pour leur flexibilité, formaient à n'importe quel moment un indice de son esprit, et, selon que le soleil ou l'ombre dominait sur ses traits, vous auriez pu dire, à priori, si la société serait favorisée d'une scintillation d'esprit, ou d'un sentiment de bienveillance, ou d'une explosion de brûlante indignation. Je suis cordialement d'accord avec ce que Sir Waller Scott dit des yeux du poète. Dans ses moments animés, et particulièrement lorsque sa colère était éveillée par des exemples de tergiversation, de bassesse ou de tyrannie, ils ressemblaient réellement à des charbons de feu vivant i. »
Dans ce coin du cœur oii, paraît-il, l'on a toujours vingt ans et qui chez lui tenait presque toute la place, la faculté d'adorer la femme restait toujours fraîche et active. Jamais il ne lui arriva comme au fabuliste, dont le cœur plus paisible fut également insatiable, de se demander : « Ai-je passé le temps d'aimer? » II avait conservé ce don de la jeunesse d'être émerveillé et séduit, de bâtir aussitôt des rêves sur ses admira- tions. L'amour continua à être l'atmosphère dans laquelle son esprit vivait. Elle était nécessaire à sa production poétique. Son imagination avait besoin, pour se mettre en mouvement, de cette chiquenaude que donne un sourire ou un regard féminins. Elle y resta délicatement sensible. Sans doute il n'était plus capable des désespoirs de Mauchline et son âme fatiguée était moins violemment remuée. Mais, si elle avait perdu la profondeur, elle avait conservé la facilité et la fraîcheur d'émo- tions qui lui étaient aussi indispensables pour chanter que le choc de la main à la harpe.
Pendant ces années de 1794 et 1795, c'est-à-dire pendant la période oîi sa vie est toute en proie aux chagrins et aux désordres, son culte pour la fille d'un fermier des environs de Dumfries, nommée Jane Lorimer, montre combien le pouvoir de s'éprendre s'était conservé intact en lui. Elle était la fille d'un homme qui vivait à Kemmishall, à deux milles de Dumfries, moitié fermier, moitié fraudeur, que, dès son entrée dans l'Excise , Burns avait eu à surveiller. C'était un paysan matois et retors , dont « la conduite , comme la grâce de Dieu , dépasse toute
1 R. Ghambers, tom IV, p. 155