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en s'enfonçant parmi tant d'amertumes malsaines, de découragement. Elles ne faisaient qu'augmenter le trouble de cet esprit ; éveillaient le regret que les choses fussent ainsi ; elles aboutissaient au souhait dont sont harcelés les hommes incapables d'accepter, avec ses joies et ses tourments, la vio qu'ils ont choisie, le souhait que leur destinée ait été différente, encore qu'ils l'aient façonnée eux-mêmes.

Est-il besoin de remarquer que, au milieu de ces désordres, la pauvre Jane Armour disparaît de plus en plus? Dans ces dernières années, il n'en reste plus qu'une impression voilée d'acceptation, d'indulgence silencieuse. « Au milieu de toutes ses erreurs, dit Currie, Burnsne trouva dans son cercle domestique que douceur et pardon, sauf les morsures de sa propre conscience. Il avouait ses transgressions à la femme de son cœur, promettait de se corriger et recevait sans cesse le pardon de ses offenses. Mais, au fur et à mesure que ses forces physiques dimi- nuaient, sa volonté devint plus faible et l'habitude prit une force prédo- minante 1 ». Héron rend à Jane le même témoignage : « Dans les intervalles entre ses différents accès d'intempérance, il souffrait sans trêve des angoisses les plus aiguës du remords et de pressentiments horriblement affligeants. Sa Jane se conduisait avec un degré de tendresse et de prudence maternelles et conjugales, qui faisaient qu'il ressentait plus amèrement la malfaisance de sa conduite, quoiqu'elles fussent incapables de le sauver^. » Ainsi, dans l'ombre oii elle est rejetée, on voit la vaillante et bonne femme persévérer dans son œuvre de douceur. Elle continue à grandir, sans le savoir. Elle soutient par un long dévoûment son action héroïque. Les chagrins de la vie révélaient jusqu'au bout la haute qualité de son âme.

IV

DERNIERS JEUX UU CUKUR. — LES CHANSONS.

Il ne faut pas oublier que, sous les scories qui s'épaississent et menacent de l'ensevelir, persiste une vie intérieure, vivace et généreuse. De plus en plus recouverte par la pluie de cendres, elle fait toujours paraître, çà et là, des endroits verts et frais ; ses sources d'inspiration ne furent jamais étouffées. L'ancienne éloquence est toujours là, l'indignation contre tout ce qui est vil, le sentiment d'indépendance, toute une poussée de nobles aspirations et de nobles haines. Les moments où elles éclatent

1 Currie. Life of Burns, p. 51.

2 Héron. Life of Burns, p. 442.