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Un fait révèle dans toute sa tristei^se ce délaissement du poète. Un M"" Mac Culloch racontait à Lockhart qu'il avait rarement été plus peiné qu'un jour où, arrivant à cheval à Dumfries, par une belle soirée d'été, pour assister à un bal, il avait aperçu Burns. Celui-ci se promenaitseul dans la principale rue, du côté qui était dans l'ombre, tandis que, sur le trottoir opposé, dans la lumière, passaient des groupes brillants d'hommes et de dames, dout pas un ne semblait le reconnaître. Mac Culloch mit pied à terre et rejoignit Burns qui, lorsqu'il lui proposa de traverser la rue, lui dit: « Non, non! mon jeune ami, tout cela est passé maintenant ». El après un moment de silence, il récita ces strophes d'une touchante bal- lade de Lady Grizel Baillie :

Son bonnet se tenait jadis tout flei- sur son front,

Et son vieux bonnet avait nieilleur air que maint bonnet neuf.

Maintenant, il le laisse pendre au basard,

Et il se laisse choir sur les gerbes de bli'.

Oh! si nous étions jeunes comme nous le fûmes jadis, Nous serions à galoper sur ce gazon, Et à courir sur la pelouse que blancbissenl les lis, El si mon cœur n'était pas léger, je mourrais.

Lockhart remarque qu'il n'était pas dans le caractère de Burns de laisser ainsi échapper ses sentiments sur certains sujets. Aussitôt après avoir cité ces vers, il reprit un air de gaîlé et, emmenant chez lui son jeune ami, il le garda jusqu'à l'heure du bal, en lui offrant un bol de son breuvage favori et en lui faisant chanter par sa femme des vers qu'il avait récemment composés ^ .

On se demande avec étonnement d'oii pouvait venir un pareil interdit? Quelque chute qu'il y eût pour un homme tel que lui à vivre comme il le faisait, il était au moins au niveau de ceux qui le tenaient à l'écart. Cette société de Dunilries, surtout la gentilhom- raerie campagnarde qui était la plus conservatrice, n'avait pas le droit de se montrer délicate. Les dissipations d'aucun genre n'étaient faites pour l'effaroucher. 11 fallait donc qu'il y eût dans le cas de Burns quelques cir- constances particulières. En réalité, c'était la forme plutôt que la nature même de ses excès qui froissait l'opinion. On les lui eût pardonnes s'il les avait dissimulés. Mais il les commettait ouvertement, peut-être même avec une sorte d'affectation, de hardiesse. Il avait toujours été dans sa nature de m pas cacher ses fautes. A cette époque, avec son irasci- bilité contre la société, il exagérait sa franchise ; ses façons prenaient une attitude de forfanterie et l'aspect agressif d'un défi. Il était disposé à faire étalage et parade de ses désordres, avec une insistance qui devait

1 Lockhart, Life of Burns , p. 224.