Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/523

Cette page n’a pas encore été corrigée

- 512 —

les arguments qiii peuvent réconforter. Un cœur à l'aise aurait été charmé de mes sentiments, de mes raisonnements; mais, vis-à-vis de moi-même, j'étais comme Judas Iscariot, préchant l'Évangile; il pouvait fondre et façonner les cœurs de ceux qui l'entouraient; mais le sien conservait son incorrigibilité native i.

De pareilles heures étaient impuissantes à tenir à l'écart celles qui les amenaient. Peut-être était-il dans ce cercle vicieux où, l'homme étant d'une nature trop élevée pour prendre son parti de ses fautes et trop faible pour s'en défaire, les remords n'ont d'autres résultats que de le poussera les oublier, et le sentiment de ses faiblesses ne sert qu'à en préparer de nouvelles.

A ces excès s'ajoutèrent des erreurs d'un autre genre. Ses biographes n'en parlent qu'avec discrétion ; mais leurs allusions en laissent deviner assez. On voit que, peu à peu, aux délicates amours où l'élément senti- mental était prédominant, se substituaient des intrigues grossières où l'élément sensuel régnait seul. Dumfries, avec ses réunions de courses et de chasses, l'aflluence de monde interlope qui, en tout pays, en est l'accompagnement, était de ce côté encore un endroit plein de péril pour lui. Il n'y sut pas résister. « Les mœurs de la ville, dit Héron, étaient déplorablement corrompues, en conséquence de ce qu'elle était un lieu d'amusement public ; quoiqu'il fût époux et père, Burns n'évita point de souffrir de la contamination générale, d'une façon que je m'abstiens de décrire '2. » Là encore, quelque chose de plus bas et de plus matériel l'envahissait. Les tumultes violents, orageux, déréglés, mais poétiques, que la passion avait si souvent déchaînés dans sa poitrine, ces élans de souffrance ou de joie qui lui avaient arraché ses cris les plus beaux, s'apaisaient. Une sorte de routine de sensualité vulgaire s'établissait en lui. C'était une descente. Des âmes comme la sienne, faites pour l'agita- tion, ont une beauté toute dramatique. Elles valent par leur emportement. Elles deviennent ordinaires dès qu'elles cessent d'être excessives. Le devoir seul supporte la régularité; la passion, comme l'orage, n'est belle que par ses violences. C'est pourquoi les poètes comme Burns, comme Byron et Musset, sont condamnés à mourir jeunes ou à se survivre; et il semble que Burns fût sur le chemin où Musset eut le temps d'aller plus loin que lui, et d'où il n'était guère possible qu'une aventure héroïque le sauvât comme Byron.

En même temps, l'isolement se faisait autour de lui. A un moment où, selon l'expression de Chambers, tout homme qui ne voyait pas la perfec- tion dans la Constitution britannique était traité comme quelque chose

1 To Alex. Cunningham , 25tl' Feb. n84.

2 R. Héron , Life of Burns, cité par R. Chambers, dans son appendice N" 17 , Réputation of Burns inhis latter years, tom. IV, p. 301.