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Cette lettre contient la preuve qu'il commençait à se faire autour de lui une réputation de buveur et même de quelque chose d'autre. Mais, c'est là peu de chose encore. Chez lui, l'ivresse devait entraîner des violences de parole ou d'action, en face desquelles il se retrouvait le lendemain avec un sentiment d'humiliation. Il y a des scènes qui sont réellement pénibles à retracer. Un soir, dans une compagnie oîi se trou- vait un officier, un certain capitaine Dods,Burns, emporté par la boisson, lance le toast suivant dont le sens était facile à dégager, étant connues ses opinions, et dont sa voix devait accentuer le sarcasme : « Puisse notre succès dans la guerre être égal à la justice de notre cause. » C'étaient ses sentiments sur la Révolution française qui éclataient. Le capitaine Dods qui, peut-être, était ivre aussi, releva ces paroles comme une insulte ; et il était en effet dur pour un officier de les entendre en face. Il s'ensuivit des mots trop vifs. Et le lendemain Burns, on peut deviner avec quel fré- missement de honte et de colère, était obligé d'écrire la lettre qui suit :

« Clier Monsieur, j'étais, je le sais, ivre liier soir ; mais je suis sobre ce matin. Après les expressions dont le capitaine Dods s'est sei-vi envers moi, si je n'avais le souci de personne que de moi-même, nous en serions certainement venus, selon les règles du monde, à la nécessité de nous tuer pour cette affaire. Ces mots étaient de ceux qui, je crois, se terminent généralement par une paire de pistolets ; mais j'ai la satisfaction do penser que je n'ai pas déti'uit la pai\ et le bien-être de ma femme et de ma famille d'enfants dans une bagarre de boisson. Vous savez, de plus, que des rapports qui m'attribuaient certaines opinions politiques m'ont une fois déjà conduit au bord de la ruine. Je crains que l'affaire de la nuit dernière ne puisse être mal représentée de la même façon. Je vous prie de prendre le soin de lempéclier. Je m'adresse à votre désir de voir Mrs Burns beureuse, pour vous faire accepter la tâcbe d'aller voir, aussitôt que possible, chacun des messieurs qui étaient présents. Vous leur expliquerez ceci, ou si vous le désirez, vous leur montrerez cette lettre. Qu'était-ce, après tout, que ce toast si blâmable ? « Puisse notre succès dans la guerre être égal à la justice de notre cause --. C'esl un toast auquel le loyalisme le plus rigou- reux et le i)lus fanatique ne peut rien objecter. Je vous demande et vous prie de vou- loir bien ce malin voir les personnes qui étaient présentes à cette sotte querelle. J'ajouterai seulement que je suis fâché qu'un lionmie que j'estimais aussi bautement que M. Dods m'ait traité de la façon dont je suppose qu'il l'a fait la nuit dernière, i »

Cette lettre est de janvier 1794 ; avant que le mois fût achevé, une aventure plus pénible encore lui était arrivée. On peut refaire le tableau, car il est caractéristique des mœurs de l'époque. C'était chez M. Walter Riddell, un gentilhomme du voisinage, frère du capitaine Robert Riddell, à un de ces dîners écossais du xviii" siècle qui s'achevaient dans une ivresse générale. On croirait à peine avec quelle régularité fonctionnait un système implacable et compliqué de santés et de toasts, qui devait être un supplice pour les faibles et venir à bout des plus solides. Pendant le

1 To Samuel Clarke Jun^ , Sunday morning 1194.