Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/513

Cette page n’a pas encore été corrigée

— 502-

piirement iiitellectiiolle, s'accumuler en profonde tristesse méditative comme chez Wordsworth, ou s'exhaler en emportement lyrique comme chez Coleridge. Les gens cultivés se font de leur esprit un sanctuaire reculé dont les joies et les colères sont plus loin de la vie, oii ils se reti- rent parfois pour goûter leurs fiertés ou cacher leurs dégoûts. Burns n'avait pas ce refuge. La vie réelle était trop près de son esprit, il ne pouvait s'en éloigner et ses idées passaient aussitôt dans ses actes. Ce conflit ne produisit pas en lui, comme dans Wordsworth, un ébranle- ment moral, douloureux sans doute, mais qui restait restreint dans la vue spéculative des choses. -Il causa en lui une irritabilité de chaque jour. Il avait pris en haine les officiers au point qu'il ne pouvait en supporter la présence. Il écrivait à Mrs Riddell qu'il avait vue la veille au théâtre: « J'avais l'intention de vous faire visite hier soir, mais, en apj)rochant de la porte de votre loge, le premier objet qui frappa ma vue fut un de ces faquins habillés en homards, assis et gardant, comme un autre dragon, le fruit du jardin des Hespérides ^ » Rencontrant un jour Mrs Basil Montagne, qui lui demande de l'accompagner: « Volontiers, Madame, dit-il, mais je ne descendrai pas par le trottoir, de peur d'avoir à partager votre société avec un de ces faquins à épaulettes dont la rue est pleine ^. » Cette antipathie s'étendait aux nobles et aux riches. Dans une excursion de quelques jours qu'il fit avec un de ses compagnons de l'Excise, il regardait, avec une sorte d'humeur farouche, le charmant paysage de l'Isle de Saint-Mary, parce que c'était la propriété d'un lord, et ce lord était le père de lord Daer, le libéral 3. Il est probable que son mécontentement politique, la sensation i)énible d'être toujours sur- veillé, l'effort encore plus pénible pour lui de se contenir, l'espèce d'humiliation qu'il en ressentait, avaient aigri son caractère. 11 était devenu plus sombre, plus amer. Il avait toujours dans ses vers revendiqué l'égalité des hommes, mais, maintenant il y apportait de l'âpreté et une sorte de dureté farouche. On verra ailleurs avec plus de détails quels furent ses sentiments vis-à-vis de la Révolution française. Il suffisait de les noter ici, en tant qu'ils eurent une infiuence matérielle ou morale sur sa vie.

Il est hors de doute que cette fièvre de discussions, de petites nouvelles, par lesquelles les grands aspects des faits sont cachés, de récriminations, de déclarations vaines, que cette folie de colères, de querelles, de haine, qui énervait et exaspérait toute l'Angleterre et sévissait fortement à Dumfries, furent pour le poète de mauvaises conditions de vie et de travail. Il eût mieux valu ressentir les nobles souffles qui passaient sur le

1 To .¥« Riddell. Nov. 1793. "^ R. Chambers, tom IV, p. 47.

3 Récit d'un voyage dans le Galloway fait avec Burns et communiqué par M'^ John Syme à Currie. Life of Burns, p. 4T.