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Cependant les destinées de la Révolution française tenaient le monde en suspens. En Angleterre, malgré la déclaration de guerre, un grand nombre d'âmes généreuses faisaient des vœux pour le peuple qui défendait sa liberté. Du premier coup, Burns se trouva parmi ceux qui prenaient parti contre leur propre patrie. Il ne s'en cachait pas. Il composait une épigramme contre une victoire de l'armée anglaise. Lorsque Dumourier passa à l'ennemi, il écrivit contre lui son Impromptu sur la Désertion du général Dumourier. Dans une Ode pour le jour de naissance du général Washington, il s'écriait :

Les nations opprimées forment-elles le haut dessein

De faire saigner les tyrans détestés ?

Ton Angleterre prend en haine cet exploit glorieux !

Sous les plis de ses bannières hostiles,

Bravant les reproches de l'honneur,

L'Angleterre tonne et s'écrie : « La cause du tyran est la mienne ! »

A cette heure maudite, les démons se sont réjouis.

L'enfer, dans son étendue, poussa un cri de triomphe,

A celte heure qui vit le nom généreux de l'Angleterre

Associé à des actes maudits frappés de honte éternelle i.

Chose remarquable ! Là encore, ce paysan sans culture, perdu dans des fonctions infimes, au fond de l'Ecosse, était à l'unisson avec les plus hauts esprits de son époque. 11 avait le don suprême des poètes de sentir où est la parcelle de justice éternelle qui roule dans le désordre humain. Il l'avait deviné, comme ses frères en poésie, l'ardent Coleridge et le noble Wordsworth. Eux aussi avaient eu l'âme déchirée de ce conflit entre leu amour pour la contrée natale et leur enthousiasme pour la cause de l'huma- nité. Ils avaient eux aussi sacrifié le moindre de ces sentiments au plus grand. A ce moment, Coleridge, malgré ses amitiés et ses jeunes amours qui étaient du côté patriotique, prédisait la défaite à tous ceux qui bra- vaient la lance destructrice des tyrans, et bénissait « les paeans de la France délivrée », en courbant la tête et en pleurant au seul nom de l'Angleterre 2. A ce même moment, lorsqu'il entrait dans une église où l'on offrait des prières ou des actions de grâces pour les victoires de son pays, Words- worth restait silencieux, « comme un hôte qu^on n'a pas invité »; et quand, sur le rivage paisible, à l'heure où le soleil descend dans la tran- quillité de la nature, il voyait la flotte orgueilleuse « qui porte le pavillon à croix rouge et entendait le canon du soir », son cœur était plein de chagrin pour le genre humain ^.

Chez Burns, cette souffrance ne pouvait pas prendre une forme

1 Ode for General Washingion's Birthday.

2 Coleridge. France, an Ode.

3 "Wordsworth. The Prélude, Book x.