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choisir. Néanmoins mon honnête renommée est ce qui m'est le plus cher, et mille fois j'ai tremblé à l'idée des épithètes dégradantes que la calomnie et la malveillance pour- ront attacher à mon nom. J'ai souvent, anticipant cruellement l'avenir, entendu quelque futur écrivailleur de magazine vénal, avec la lourde méchanceté d'une stupi- dité sauvage, déclarer avec joie, dans ses paragraphes payés, que « Burns, malgré la parade d'indépendance qui se trouve dans ses écrits et après avoir été produit au regard et à l'eslime publics comme un homme de quelque talent, n'ayant pas en lui-même les ressources nécessaires pour supporter cette dignité empruntée, tomba à être un pauvre exciseman et passa humblement le reste de son insignifiante existence dans les occupations les plus communes, avec la plus vile classe du genre humain. »

Monsieur, permettez-moi de déposer entre vos mains illustres mon démenti le plus énergique, ma protestation contre ces calomnieuses faussetés. Burns fut un homme pauvre depuis sa naissance et devint exciseman par nécessité. Mais, je le dirai! la pau- vreté n'a pu altérer la pureté de son honnêteté et l'indépendance britannique de son esprit. L'oppression a pu la plier, mais non la dompter. N'ai-je pas, dans la prospérité de ma contrée, un intérêt (jui m'est plus précieux que le plus riche duché qu'elle contient? J'ai une nombreuse famille et la probabilité qu'elle s'accroîtra encore. J'ai trois fils qui, je le vois déjà, ont apporté dans ce monde des âmes peu faites pour habiter des corps d'esclaves. — Puls-je regarder tranquillement et contempler les machinations qui enlèveraient leurs droits à mes garçons ? à ces petits Bretons libres, dans les veines de qui court mon propre sang ? Non I je ne le saurais ! Quand même le sang de mon cœur devrait ruisseler autour de mon effort pour l'empêcher.

Si quehpi'un me dit que mes faibles efforts ne saumient être utiles et qu'il n'appar- tient pas à mon humble position de se mêler des intérêts d'un peuple, je lui répondrai que c'est sur des hommes comme moi qu'un pays se repose, pour trouver les mains qui soutiennent et les yeux qui comprennent. La nmltitude ignorante peut enfler la masse d'une nation ; la foule clinquante, titrée et courtisane, peut lui servir de panache et d'ornement. Mais le nombre de ceux qui s(jnt assez élevés dans la vie pour raisonner et réfléchir, et assez bas pour être a l'abri de la contagion vénale des cours, voilà où est la force d'une nation.

Une dernière requête. Quand vous aurez honoié cette lettre en la lisant, je vous prie de la jeter aux tlannnes. Burns, en faveur de qui vous vous êtes si généreusement intéressé, vient d'être peint par moi, en couleui"s naturelles ; mais si quelqu'une des personnes qui tiennent entre leurs mains le pain qu'il mange, venait à avoir quelque connaissance de ce portrait, cela ruinerait le pauvre barde pour toujoui'si 1...

Comme on seut, lorsqu'il parle des jugements futurs qu'on portera sur sa vie, l'amertume et l'huiniliatiou qu'il ressentait de sa position dans l'Excise. 11 ne s'y réconcilia jamais: et dans le reste de la lettre bouil- lonne un esprit altier contre sa situation subalterne et contre un ordre de silence qu'il n'acceptait qu'en frémissant.

Grâce à l'amitié de Corbet et de Graham, l'orage qui l'avait menacé passa sans éclater. Il en garda cependant assez longtemps la pensée qu'il fallait renoncer à tout espoir d'avancement. Lockhart attribue au décou- ragement que lui causa cette pensée sa fuite vers des excès qui abré- gèrent sa vie 2.

1 To John Francis Erskine of Mar.

2 Lockhart. Life of Burns, p. 233-34.

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