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et aussi des résistances, des alarmes, des indignations. En sorte que les luttes particulières prenaient quelque chose de la gravité du drame de France, et que les discussions à son propos avaient l'âpreté de luttes immédiates. Les moindres remous dans la plus lointaine baie portaient le reflet au grand navire qui sombrait dans son incendie , et recevaient de lui un caractère tragique. Les passions publiques étaient exaltées, presque à leur paroxysme ; la somme de haine que les hommes ont toujours à la disposition de leurs opinions, cessant d'être employée aux croyances religieuses, s'était précipitée dans les convictions politiques. Il fallait prendre parti pour ou contre la Révolution. Par ses origines plébéiennes, son éducation, son impatience de toute supériorité, sa colère contre les distinctions sociales, Burus devait fatalement aller au parti dont les tendances étaient démocratiques. Dans ces temps où il était dangereux, surtout pour un agent du Gouvernement, de manifester ses préférences, un autre aurait tenu les siennes secrètes ou ne les aurait manifestées qu'à bon escient. Mais il n'était pas homme à garder eu lui ce qu'il ressentait. Les convictions prudentes et taciturnes n'étaient pas sou fait. Par suite de sa nature, il était impossil)Ie que ses opinions n'éclatassent pas au dehors, et par suite de son génie, qu'elles le fissent sans quelque chose de frap- pant. Il était certain qu'un acte audacieux, quelque parole coupante de sarcasme ou brillante d'éloquence, attireraient l'attention sur lui. Il y a des hommes dont les discours sont éclatants comme des glaives. Cela ne tarda pas à arriver.

Un jour de la fin de février 1792, un brick aux allures suspectes fut signalé dans le Solway-Frith. Burns était un des employés qui furent envoyés pour surveiller ses mouvements. Le lendemain, le brick échoua sur un banc de sable et on put apercevoir que l'équipage était nombreux, bien armé, décidé à ne pas se rendre sans lutte. On dépêcha aussitôt un des excisemen, Lewars, àDumfries, et un autre à Ecclefechan, pour en ramener un peloton de dragous. Burns fut laissé avec quelques hommes pour surveiller le navire et empêcher que la marchandise ne fût débar- quée. Pendant qu'il se promenait de long en large sur les galets et les roseaux du rivage, « de méchante humeur que les renforts tardassent à venir » , il composa une de ses amusantes chansons : Le diable a emporté l'exciseman. Quand Lewars revint avec les soldats, Burns se mettant à leur tête, l'épée à la main, marcha à travers l'eau et fut le pre- mier à aborder le brick. L'équipage perdit courage bien que plus nombreux et se rendit. Le vaisseau fut saisi et vendu aux enchères, le lendemain, à Dumfries, avec toutes ses armes et toute sa cargaison. A cette vente, Burns dont la conduite avait été fort louée, acheta quatre caronades. C'est une emplette qui, à première vue, semble étrange. On en a l'explication lorsqu'on sait qu'il les envoya, selon Lockhart, à la Convention, avec une lettre où il priait cette assemblée de les accepter