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Jupiter saisissant une sarbacane d'enfant après avoir manié le tonnerre. Quand je prends la plume, la souvenance m'accable. Ab! ma toujours très chère Clarinda ! Clarindal Quelle foule des plus tendres souvenirs se presse dans ma pensée, à ce mot ! Mais je ne dois pas m'abandonner à ce sujet. Vous l'avez interdit.

Je suis extrêmement heureux d'apprendre que votre santé est rétablie, et que vous êtes de nouveau en état de goûter cette satisfaction en l'existence, que la santé seule peut nous donner... Vous ririez si vous m'aperceviez où je suis en ce moment. Plût au ciel que vous fussiez ici pour rire avec moi, quoicpie, je le crains, notre première occupation serait de pleurer. Me voici établi ici , ermite solitaire , dans la salle solitaire d'une auberge solitaire, avec une solitaire bouteille de vin près de moi, aussi grave et stupide qu'un hibou, mais comme un hibou toujours fidèle à ma chanson. En preuve de quoi, ma chère M" Mac, voici à votre santé ! Puissent les béné- dictions les plus choisies du ciel bénir votre doux visage; et si un misérable regarde de travers \ otre bonheur, puisse le vieux chaudronnier de l'enfer l'empoigner pour marteler son cœur pourri ! Amen.

Il faut que vous sachiez, ma très chère Madame, que, depuis bien des années, en quekpie endroit, en quelque compagnie que je me trouve, chaipie fois qu'on propose la santé d'une dame mariée, je propose toujours la vôtre. Mais comme votre nom n'a jamais franchi mes lèvres, même pour mon ami le plus intime, je propose votre santé sous le nom de « M" Mac ». Cela est si bien connu parmi mes relations que, lorsqu'on propose une dame mariée, le directeur des toasts dit souvent : « Oh ! nous n'avons pas besoin de lui demander à qui il boit: à la sanlé de M Mac ». J'ai aussi, parmi mes compagnons de réunions joyeuses, établi un tour de santés que j'appelle le tour des Bergères d'Arcadie, ce sont les santés de dames préférées qu'on porte sous des noms féminins célébrés dans les chansons anciennes ; en ces occasions vous êtes ma « Clarinda ». Donc, madame Clarinda, je consacre ce verre de vin au plus ardent souhait pour votre bonheur! ^

Ainsi finit la correspondance de Sylvander et de Clarinda. Les protes- tations ardentes, les promesses éternelles, les rêves de réunion future, les appels à la divinité, cette magnifique rhétorique aboutit à cette rasade, bue à la santé de « M*"^ Mac », avec une familiarité alourdie et un rire forcé. Il sort de cette lettre une odeur de trivialité. C'est l'abaisssement d'une passion qui avait eu de hauts coups d'aile. A quelques mois de là il écrivait :

« Il y a dans le Muséum, une chanson par une de mes ci-devant déesses qui n'est pas indigne de cet air! Elle commence ainsi:

« Ne parle pas d'amour, cela me fait souffrir » 2.

H employait, en français, cette locution souillée qui avait traîné par les rues de Paris et qui contient je ne sais quelle goguenardise popiilacière et cruelle. La chanson dont il parlait était les jolis vers que Clarinda lui avait envoyés au début de leur liaison, quand il avait pour la première fois parlé d'amour ^. Il y a quelque chose de laid dans ce manque de respect

1 To Mrs Mac Lehose. 25tli June 1*794.

2 To George Thomson. 19tii Oct. l'794.

3 Dans la lettre du 3 Janvier 1788.