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extraordinaires, le reflet de toutes les passions, depuis le rire le plus franc jusqu'à toutes les éloquences que l'amour ou la colère peuvent prêter à une face humaine. Il est impossible de voir ce garçon sans le remarquer. Il est même une manière de personnage dans le pays et les hameaux d'alentour. Il est entouré d'une sorte de notoriété ; on s'occupe de lui ; les uns l'admirent, les autres redoutent son sarcasme. Lui-même n'est pas fâché d'attirer l'attention sur lui : il se singularise, s'habille d'une façon originale qui doit lui attirer les regards. Il tranche sur les autres ; il est le seul gars de la paroisse qui porte les cheveux liés derrière ; c'est le dimanche à l'église qu'il se montre ainsi. Les filles se chuchottent : « C'est Robie Burns » ; les gars le regardent avec admiration et envie ; ils désirent faire sa connaissance. Il est le lion du village. Il le sait et il en est fier. Tous ces points apparaissent clairement dans les souvenirs de David Sillar qui fut son compagnon à cette époque : « M. Robert Burns était depuis quelque temps dans la paroisse de Tarbolton, quand je fis sa connaissance. Son humeur sociable lui procurait facilement des relations, mais un certain assaisonnement satirique, qui était mêlé à son génie comme à tous les génies poétiques, tout en faisant éclater de rire le cercle rustique, ne laissait pas d'amener à sa suite sa compagne naturelle : une défiance craintive. Je me rappelle avoir entendu ses voisins dire qu'il avait la langue bien pendue et qu'ils suspectaient ses principes. Il portait la seule chevelure nouée qu'il y eût dans la paroisse, et à l'église, il drapait son plaid, qui était d'une couleur particulière, feuille morte je crois, d'une manière particulière autour de ses épaules. Ces notions et son extérieur eurent une influence si magique sur ma curiosité qu'ils me rendirent très désireux de faire sa connaissance. Je ne me rappelle plus maintenant très bien si ma liaison avec Gilbert fut accidentelle ou préméditée. Par lui je fus présenté non seulement à son frère mais à toute cette famille oii, au bout de peu de temps, je fus un visiteur fréquent, et, je le crois, bienvenu *. » On devine, dans cette affectation de vêtement, quelque chose de théâtral. M.Robert Stevenson l'a bien remarqué, et il rapjielle que, dix ans plus tard, quand il sera marié, père de famille, on le retrouve dans un costume encore plus extraordinaire : une casquette de fourrure, un pardessus avec un cein- turon et une grande rapière écossaise au côté. « Il aimait, dit-il, à s'habiller pour le plaisir de s'habiller » ^ ; et le critique observe finement qu'il y a là une marque fréquente chez les tempéraments artistiques. Il eût pu ajouter qu'elle est faite d'une disposition à vivre en dehors des conditions entourantes, qui vient de l'activité de l'imagination et

- 1 David Sillar. Réminiscences ., from Walker's memoir of Burns, i811.

2 Stevenson. Familiar studies of Mon and Books. Some Aspects of Robert Burns, p. 44