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reproduisent, perpétuent et modifient les espèces ; elle forme des dépôts qui seront plus tard des continents propres à des plantes nouvelles ; elle a mille utilités plus profondes et encore indiscernées ; ses bienfaits sont nombreux. Mais elle a deux ou trois récifs sur lesquels se sont brisées des galères, peut-être chargées de soldats ; elle a quelques bas-fonds oii s'est enlisé un navire qui portait peut-être de l'alcool ou de l'opium ; quelquefois elle a des tempêtes. Alors, au jugement court des hommes, elle devient une mer malfaisante et redoutée. Ils ne pénètrent pas dans son œuvre continue ; ils ignorent qu'il sort d'elle plus d'avantages que de désastres, même pour eux ; et ils oublient que d'ailleurs leur mesure des choses est à leur taille. Hélas ! il en est de même des vies humaines. Quelques fautes, quelques heures d'oubli, de faiblesse, de colère ou de passion , qui sont comme des écueils à la surface , gâtent une existence entière. Cependant , elle aussi accomplit ses fonctions profondes : elle est composée dans son ensemble de bonté , d'efforts, d'aspirations vers le mieux ; elle a, même en ses erreurs, des désirs de bien, à ce point que parfois — mystère fait pour troubler! — le désir du bien a été la cause de l'erreur ; elle contient de l'amour, du sacrifice, des dévoûments ; elle contribue à la continuation physique et au progrès intellectuel du monde. Et tous ces services sont oubliés ou ignorés ou méconnus , à cause des quelques désordres à la superficie , des quelques remous oii l'eau est trouble. Sous d'inexcusables torts la vie de Burns était une vie de droiture, de travail et de bonté. Il accomplissait mieux que la plupart, mieux que beaucoup qui se sont tenus purs de faiblesses, il accomplissait avec une rare efficacité les tâches essentielles par lesquelles l'homme vaut ici- bas. Et c'est une question qui est encore à décider de savoir si les insuffisances d'action n'égalent pas les excès de passion, et si, tout compte fait, ceux qui ont commis quelque mal mais travaillé au bien avec énergie, ne valent pas mieux que ceux qui n'ont fait ni mal, ni bien.

Il avait un vrai cœur de père. C'est plaisir, dans sa correspondance, de l'entendre parler de ses enfants, de voir ses jolis croquis de bébés, pleins de complaisance et de tendresse paternelles, mais aussi de perspicacité. Il avait, de Jane Armour, trois fils. L'ainé Robert avait environ cinq ans ; le second François Wallace, le filleul de M'M)unlop, était né le 24 août 1789; et le troisième William Nicol, nommé d'après le compagnon du voyage des Hautes-Terres, était venu au monde le 9 avril 1791. Il les contemplait, les étudiait; ces petits êtres, encore si indécis, prennent sous son regard pénétrant une personnalité. De son aîné , il disait :

« J'ai rintenlion de l'élever pour l'église et, d'après une dextérité innée qu'il a pour faire le mal et une certaine gravité hypocrite avec laquelle il en considère les consé- quences, j'ai de belles espérances à son sujet, dans la carrière épiscopale i. »

1 To Alex. Cunningham. 2'7tli July 1788,