— 439 —
Par instants, quand il y tombait du dehors un reproche, une allusion, toutes ces rancœurs entraient en effervescence, bouillonnaient, remplis- saient son âme de vapeurs noires et acres, et débordaient en colères, en imprécations, et, terme terrible, en une sorte de haine farouche.
Dieu aide les fils de la Pauvreté ! Haïs et persécutés par leurs ennemis, et trop souvent (hélas ! presque sans exception toujours) reçus par leurs amis avec un manque de respect insultant et des reproches qui percent le cœur, sous le mince déguisement d'une froide politesse et de conseils humiliants. Oh ! être un vigoureux sauvage traversant, dans l'orgueil de son indépendance , les solitudes sauvages de ses déserts, plutôt que d'être dans la vie civilisée et d'attendre en tremblant une subsistance, précaire comme le caprice d'un semblable ! Chaque homme a ses vertus, et pas un homme n'est sans fautes. Maudits soient le privilège et la franchise de l'amitié qui, à l'heure de ma cala- mité, ne peut me tendre une main secourable sans désigner en même temps mes fautes et assigner leur part dans ma détresse présente. Mes amis, car c'est ainsi que le monde vous nomme, et c'est ce que vous-mêmes pensez être, omettez mes vertus, si cela vous plaît, mais aussi épargnez mes folies : les premières porteront dans mon sein témoi- gnage d'elles-mêmes ; les secondes tortureront assez un cœur sincère , sans vous. Puisque dévier plus ou moins des sentiers de la convenance et de la droiture est fata- lement une chose inhérente k la nature humaine, ô Fortune, mets eu mon pouvoir de payer toujours de ma propre poche, la pénalité de mes erreurs ! Je n'ai pas besoin d'être indépendant afin de pécher ; mais je veux être indépendant dans mon péché *.
En même temps sa haine pour son métier allait s'accroissant. Il s'exaspérait contre ce que ses fonctions avaient de cruel. Il les accom- plissait, malgré lui, avec répugnance. Le dégoût qu'il avait prévu était bien là. Il écrivait des lettres comme celle-ci qui , avec son épigraphe , montre la part que son bon cœur avait dans l'horreur qu'il éprouvait pour ses fonctions.
Béni celui qui avec bonté Considère le cas du pauvre.
Je vous ai cherché par toute la ville, bon Monsieur, pour savoir ce que vous avez fait ou ce qui peut être fait pour le pauvre Robie Gordon. L'heure est venue où il me faut assumer l'exécrable office de rabatteur vers les limiers de la Justice et lâcher les fils de charogne... sur le pauvre Robie. Je pense que vous pouvez faire quelque chose pour sauver le malheureux et je suis siir que si vous le pouvez vous le voudrez 2.
Et encore cette autre imprécation :
Je suis un misérable diable, harassé, usé jusqu'à la moelle par le frottement de tenir les nez des pauvres cabaretiers sur la meule de l'Excise. Comme le Satan de Milton , pour des raisons particulières, je suis forcé
De faire ce que, bien que damné, j'abliorrerais3, et n'était qu'un couplet ou deux d'honnête exécration
1 To Alex. Cunningham. llt'i June n91.
2 To Alex. Fergusson. Sept. nQO.
3 To D James Andenon. Aug. 1190.