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commune s'en est allée. Cette union, à laquelle ne restait plus que la routine des intérêts quotidiens et du commerce subalterne des corps, est désagrégée. Cette maintenance dans le devoir par le bonheur manquant, tout du même coup manquait à Burns. Les bonnes résolutions avaient disparu comme des bornes enlevées par des malfoiteurs nocturnes. Un jour il s'était trouvé sans défense et prêt pour la faute. Quand nous en sommes là, nous ne durons pas longtemps. Il passe constamment autour de nous mille fautes comme mille maladies inaperçues. C'est notre santé qui les écarte. Dès que nous sommes délabrés, la première qui se présente nous prend. Cela arriva à Burns.

Cette vie, qui l'éloignait de chez lui, offrait des occasions de dissipa- tions. Son « repaire » favori, lorsqu'il allait à Dumfries, était une petite auberge qu'on appelait le Glohe. Une nièce de l'aubergiste, nommée Anna Park, y servait les clients. Il ne tarda pas à avoir des relations avec elle. Il ne semble pas qu'elle eût rien de remarquable, ni qu'elle fût au-dessus d'une servante ordinaire. « Elle était considérée comme jolie par les clients de l'auberge, dit Allan Cunningham, quand le vin les rendait tolérants en matière de goût ; et, comme on peut le supposer d'après la chanson, elle avait d'autres jolies façons de se rendre agréable aux clients qu'en leur servant du vin *. » Mais la faculté de découvrir chez les femmes des charmes invisibles aux autres, qui à Lochlea déjà étonnait le froid Gilbert, n'avait pas vieilli en Burns. Et puis, car il faut aller jusqu'au bout et ne rien dissimuler, il menait un genre de vie dans laquelle on finit par prendre goût aux aventures d'auberge. Il descendait dans la nature et le choix de ses passions. La délicate idéalisation, qui n'exclut rien mais qui embellit tout et rend un amour complet, s'épaississait et s'affaissait jusqu'à toucher l'élément inférieur et grossier. Ce dernier était ici presque seul au jeu ; il ne restait plus dans le fond du verre que le fond de l'ivresse. Burns allait la même voie que Musset.

Hier j'ai Iju une pinte de vin,

Là où personne ne m'a \ii ;

Hier, ici, sur ma poitrine, reposaient

Les boucles d'or d'Anna.

Le juif affamé dans le désert

Goûtant avec joie sa manne,

Ce n'était lien près du miel de bonheur

Que je goûtais sur les lèvres d'Anna.

Vous autres, monarques, prenez l'Est et l'Ouest,

De rindus à la Savane,

Donnez-moi, dans mon étreinte serrée.

Le beau corps souple d'Anna.

1 Allan Cunningham, Life of Burns, p. lOT et 431. — Scott Douglas, tom. II, p. 294. 1. 28