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Tous ces traits, sur lesquels on n'a peut-être pas jeté assez de lumière, sont importants. Ils marquent la lente désorganisation d'une âme, la fatigue, l'abaissement, qui prennent peu à peu possession, non pas d'elle tout entière, mais de certaines parties précieuses, un découragement par lequel s'expliquent bien des abandons, des insouciances et des fautes, le laisser-aller d'un homme qui n'a plus rien à perdre et se livre à la dérive. Ils marquent encore ce changement important dans les relations d'une âme avec l'existence, l'instant où cette figure fragile « du monde qui passe », souple et malléable tant que notre force idéale a été intense, durcit son écorce et agit plus sur nouS;, à mesure que la flamme intérieure qui la pénétrait se ralentit et se perd en nous-mêmes.

Par instants , il regimbait contre cette pression des choses. Il se redressait ; il rejetait ces pensées de sagesse ; il voulait rester ce qu'il avait été, l'être généreux et imprudent. Il lui semblait qu'il aurait perdu quelque chose à cesser de l'être ; et il avait raison.

J'ai perdu toute patience avec ce vil monde, à cause d'une cliose. Les liommes sont par nature des créatures bienveillantes, sauf quelques exemples secondaires. Je ne pense pas que notre a^ arice des biens que nous nous trouvons posséder soit née avec nous ; mais nous sommes placés ici au milieu de tant de nudité et de faim, de pauvreté et de besoin, que nous sommes réduits a la maudite nécessité d'étudier l'égoïsme afin de pouvoir exister.

Cependant, il y a dans tout siècle, quelques âmes que tous les besoins et les maux de la vie ne peuvent abaisser jusqu'à l'égoïsme, auxquelles ils ne peuvent même donner l'alliage nécessaire de précaution et de prudence. Si jamais je suis en danger de vanité, c'est lorsque je me regarde du côté de cette disposition de caractère *.

Mais c'étaient là des révoltes qui révélaient le poids contre lequel elles se redressaient. Il ne tirait plus ni confiance, ni joie de ces qualités qu'il se promettait de conserver. Il les gardait par respect pour l'homme qu'il avait été jusqu'ici et qu'il ne consentait pas à cesser d'être.

Dans cet accablement dont nous abat la maladie, souvent naît un pro- fond besoin de soutien et de tendresse. La dépendance où l'on est des autres amortit la personnalité et mate cet égoïsme, ce quelque chose d'absolu, qui fréquemment tient à la vigueur de la nature. Parfois même, tout l'être se complaît à une sorte de souiuission ; les caractères autoritaires y trouvent un baume, un délassement. Dans cette rémission de l'individualité, les aspérités s'effacent ; les petites obstinations d'amour-propre, les suscepti- bilités, les rancunes, toute la mauvaise poussière dont la vie ternit l'âme, tombent. Les anciennes affections reparaissent. Souvent c'est l'instant des pardons et des réconciliations. Le cœur, travaillé de supplications silen- cieuses, se tourne vers ceux qui nous ont aimés et, de préférence, vers ceux qui nous ont aimés dans notre force : un peu de leur affection semble

1 To Peter Hill, 2"'! March HSO.