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Et un peu plus loin dans la même lettre :

« Je suis assez enclin à penser comme ceux qui soutiennent que ce qu'on appelle des affections nen^euses sont en réalité des maladies de l'esprit. Je suis incapable de rai- sonner , incapable de penser et, sauf à vous, je n'oserais rien écrire qui dépasse une commande à un savetier. Vous avez trop éprouvé des maux de la vie pour ne pas avoir de sympathie avec un misérable malade, qui est privé de plus de la moitié des facultés qu'il possédait. Votre bonté excusera ce griffonnage incohérent, que l'écrivain ose à peine relire et qu'il jetterait dans le feu, s'il était capable d'écrire quelque chose de mieux, ou même d'écrire quoi que ce soit.

Si vous avez une minute de loisir, prenez votre plume, par pitié pour le pauvre misérable i.

A une autre correspondante, lady Glencairn, il écrivait , vers la même époque, ces lignes si tristes :

« L'honneur que vous avez fait à votre pauvre poète en lui écrivant une lettre si obligeante, et le plaisir que les beaux vers qu'elle renfermait lui ont causé, sont venus bien à propos à son aide, dans le triste assombrissement et le découragement profond de nerfs malades et d'un temps de Décembre 2. »

Cet hiver de 1789-90 fut véritablement lugubre. Ces jours étreints par les téûèbres, ces jours où une pâle lumière souffrante ne sert qu'à marquer les progrès des ombres, étaient l'emblème de sa vie intérieure. Il y avait en lui quelque chose qui répondait aux désolations, aux lamentations des vents. La neige qui couvrait la campagne ne toiiibait pas en llocons plus mornes que les lourds désespoirs qui étouffaient son àme. Les premiers jours de Janvier 1790, au moment où l'année nouvelle apporte aux plus dé- couragés un instant d'espérance, il écrivait à Gilbert ces aveux navrants :

« Cher fi'ère, je veux profiler de l'atTranchissement du port, bien que, dans mon présent état d'esprit, je n'aie pas grand goût pour faire l'etTort d'écrire. Mes nerfs sont dans un étal maudit; je sens cotte horrible hypocondrie prendre chaque atome de mon corps et de mon âme. Cette ferme a détruit tout plaisir en moi. C"est, à tous les points de vue, une affaire ruineuse. Mais qu'elle aille à l'enfer 1 Je tiendrai bon et je lutterai jusqu'au bout 3. »

Et après avoir essayé d'écrire quelques lignes de nouvelles banales, il interrompt brusquement sa lettre et jette sa plume avec un geste de découragement.

Je n'en puis plus ... Si seulement j'étais délivré de cette ferme maudite, je respirerais plus à l'aiseS.

Un an, juste un an, et déjà si loin ! si loin de cette journée confiante par laquelle s'était ouverte l'année ! si loin de cette belle lettre radieuse et

1 En français.

2 To lady Glencairn, Dec. 1789.

3 To Gilbert Burns, Uth Jan. 1790.