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Malgré ses accès de courage, malgré son intelligence, il ne semble pas qu'il eût les qualités nécessaires pour réussir, dans les conditions difficiles oii il était. Quelques-uns de ses biographes essaient de soutenir qu'il était aussi bon fermier qu'un autre. C'est aller contre les témoi- gnages des gens du métier et , on peut le dire , contre la vraisem- blance. Un vieux fermier sagace, dont les terres touchaient à celles d'Ellisland, disait: « Sur ma foi, comment pouvait-il ne pas échouer, quand les domestiques mangeaient le pain aussi vite qu'il cuisait? Je ue parle pas figurativement, mais à la lettre. Considérez un peu. A cette époque, une étroite économie était nécessaire pour réaliser un bénéfice de 20 livres par an, sur Ellisland. Or, il ne pouvait être question du propre travail de Burns ; il ne labourait, ni ne semait, ni ne moissonnait; pas, du moins, comme un fermier attaché à sa besogne. En outre, il avait une ribambelle de domestiques qu'il avait amenés d'Ayrshire. Les filles ne faisaient rien que cuire le pain, et les gars étaient assis près du feu et le mangeaient tout chaud avec de l'aie. La perte de temps et le gaspil- lage de nourritures atteignaient bien vite 20 livres par an i». Il y a peut- être un peu d'exagération et de sévérité, dans ce jugement d'un homme qui ne semble pas avoir permis à ses domestiques de manger le pain aussi chaud ; mais il y a sans doute quelque chose de vrai. Avec un maître comme Burns, souvent absent et préoccupé, et une maîtresse qui n'avait pas été élevée dans les choses d'une ferme, la surveillance devait être parfois négligée ou inefficace. Le père d'Allan Cunningham lui racontait que Burns avait l'air d'un homme inquiet et sans but précis. « Il était toujours en mouvement, soit à pied, soit à cheval. Dans la même journée, on pouvait le voir tenir la charrue, pêcher dans la rivière, flâner, les mains derrière le dos, sur la rive, contempler l'eau fuyante, à quoi il prenait grand plaisir, se promener autour de ses bâtiments ou dans ses champs, et, si on le perdait de vue pendant une heure, on le voyait revenir de Friars-Carse ou pousser son cheval à travers la Nith pour aller passer la soirée avec quelques amis éloignés 2. » Il est difficile de tout détruire dans ces témoignages de gens qui l'ont bien connu et qui l'ont aimé. Était-il possible qu'il en fût autrement? Était-il possible que Burns, avec sa largeur de nature et les absences poétiques de son esprit, fût capable de cette attention serrée aux moindres choses, de cette sur- veillance inquiète de toutes les minutes, de cette parcimonie, presque de cette avarice, qui sont nécessaires, même dans les fermes en meilleure condition que n'était la sienne. Si la marge des bénéfices avait été plus large, il aurait pu tenir : il aurait mis quelques livres de côté en moins à la fin de l'année, et ceux qui travaillaient avec lui auraient été plus

  • Lockhart, Life of Burns. p. 158, d'après une lettre d'Allan Cunningham.

2 Allan Cunningham, Life of Burns, p. S'.i.