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amis et atteindre un cœur récemment blessé. On devine ce que Clarinda avait pu ressentir en apprenant le brusque mariage de Burns. Elle lui avait tout sacrifié ; il l'abandonnait dans l'isolement qu'il l'avait poussée à accepter. Elle avait profondément souffert. Sous le coup de la colère et de l'indignation, elle lui écrivit chez son ami Héron une lettre à laquelle il ne répondit rien. Cette lettre n'a pas été conservée. Il est probable, dit Scott Douglas, que Burns la déchira sur l'instant de colère *. Quand elle fut prévenue par Ainslie qu'il était sur le point de faire une courte visite à Edimbourg, elle répondit qu'elle éviterait ce jour-là de regarder par les fenêtres. Pauvre Clarinda ! Peut-être espérait-elle que cette défense ne serait pas écoutée et peut-être, le cœur serré, passa-t-elle la journée à attendre l'ingrat. Il ne vint pas. Il semble que, dans une de ces contradictions si sincères et parfois si touchantes chez les femmes, elle lui en fit parvenir le reproche, car on a la lettre curieuse, à la fois ferme et adroite, par laquelle il se défend.

« Madame. — La lettre qae vous m'avez écrite chez Héron portait sa réponse en elle-même; vous me défendiez de vous écrire, à moins que je ne fusse prêt plaider coupable devant une certaine accusation que vous portiez contre moi. Comme je suis convaincu de mon innocence; connue je puis, bien que j'aie conscience de ma haute imprudence et de mon insigne folie, mettre la main sur ma poitrine et attester la rectitude de mon cœur, vous me pardonnerez, Madame, si je ne pousse pas la com- plaisance jusqu'à souscrire humblement au nom de « misérable », uniquement par défJ'rence pour votre opinion, quelque estime que j'aie pour votre jugement et quelque ardent respect que j'aie pour votre mérite !

Je vous ai déjà dit et je l'affirme de nouveau que, à l'époque à laquelle vous faites allusion, je n'avais pas le moindre lien moral envers M" Burns ; je ne connaissais pas, je ne pouvais pas connaître les circonstances puissantes que l'irrésistible nécessité était occupée à embusquer contre moi. Si vous ^ous rappelez les scènes qui ont eu lieu entre nous, vous apercevrez la conduite d'un honnête homme, lutlant victorieusement contre des tentations, les plus puissantes qui aient jamais assailli un homme, et conser- vant sans tache l'honneur, dans des situations où la vertu la plus austère aurait pardonné une cliute. Ces situations, j'ose le dire, pas un de ses semblables, avec la moitié de sa sensibilité et de sa passion, n'aurait pu les atïronter sans succomber. Je vous laisse à penser, Madame, s'il est vraisemblable que cet homme accepte une accusation de « perfide trahison ».

Étais-je à blâmer, Madame, quand je fus la victime éperdue de charmes, dont, je l'affirme, aucun homme n'approcha jamais avec impunité? Si j'avais entre\-u la moindre lueur d'espérance que ces charmes pussent jamais être à moi; si même la

nécessité de fer mais ce sont là des paroles inutiles. Je serais allé vous voir

quand j'étais en ville; en vérité, je n'aurais pu m'en empêcher, si ce n'est que M. Ainslie m'a dit que vous étiez déterminée à é\ iter vos fenêtres, pendant que je serais eu ville, de peur de m'entrevoir dans la rue.

Quand j'aurai regagné votre bonne opinion, peut-être oserai-je solliciter votre amitié ; mais, quoi qu'il en soit, celle qui, pour moi, est la première de son sexe, sera toujours l'objet de mes meilleurs et de mes plus ardents souhaits 2.

1 Scott Douglas, tom. V, p. 219.

2 To Mrs Mac Lehose, March 9tli , n89.