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La contrebande était à cette époque-là en pleine prospérité ; les scènes de débauche fanfaronne et de dissipation bruyante m'avaient été jusque-là inconnues, et je n'étais pas ennemi d'une existence sociable. Bien que j'apprisse ici à regarder sans émoi un large compte de taverne, et à me mêler sans peur dans des bagarres d'ivrognes, néanmoins j'avançai haut la main dans ma géométrie, jusqu'au moment où le soleil entra dans la Vierge, un mois qui met toujours le carnaval dans mon cœur. Une charmante fillette, qui vivait dans la maison porte à porte avec l'école, renversa ma trigonométrie et m'envoya par la tangente hors de la sphère de mes études. Je continuai à lutter avec mes sinus et cosinus encore pendant quelques jours ; mais étant sorti dans le jardin, par un joli midi charmant, pour prendre l'altitude du soleil, je rencontrai mon ange:

« Comme Proserpine cueillant des fleurs, Elle-même fleur plus belle. « 

Il devint inutile de songer à faire rien de bon à l'école. La dernière semaine de mon séjour, je ne fis rien d'autre que de mettre à l'envers toutes les facultés de mon âme à propos d'elle, ou de me glisser dehors pour la rencontrer, et les deux dernières nuits de mon séjour dans le pays, si le sommeil avait été un péché mortel, j'aurais été innocent ' . ■'

, Le changemeQt dans la manière de sentir est bien apparent. Ce n'est déjà plus l'amour involontaire et troublé et subi ; c'est je ne sais quelle façon délibérée et provoquante de s'y abandonner, un parti pris d'aimer, le goût à rechercher le moment le plus pétillant et le plus capiteux de l'amour, c'est-à-dire les commencements, où l'incertitude fait les joies plus soudaines et plus fortes, outre qu'elles sont neuves. « Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, disait déjà don Juan, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement ^. »

Il est bien vrai cependant que la poésie et l'amour se tenaient dans le cœur de Burns. Cette seconde aventure lui fournit le thème d'une chanson qui, à un an d'intervalle, est aussi loin de sa première chanson, que ses sentiments étaient loin du trouble juvénile qu'il avait ressenti. Quels pas étonnants faisait ce garçon, capable désormais d'écrire des strophes comme celles-ci :

Maintenant les vents d'ouest et les fusils meurtriers

Ramènent le plaisant temps d'automne ;

Le coq de marais s'envole sur ses ailes bruissantes

Parmi la bruyère fleurissante ;

Maintenant les grains, ondoyant au loin sur la plaine,

Réjouissent le fermier fatigué.

Et la lune brille clairement quand j'erre la nuit

Pour songer à ma charmeresse.

Mais, ô chère Peggy, la soirée est claire. Pressées volent les effleurantes hirondelles,

1 Autobiographical Letter lo D Moore.

2 Le Festin de Pierre. Acte i, scène ii.