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lettre qu'on verra plus tard, écrite par Burns à Clarinda, et qui prouve que celle-ci sut imposer jusqu'au dernier moment, à cet homme emporté, la réserve et le respect ^ Ces adieux remuèrent profondément Burns, « Pendant ces huit derniers jours, écrivait-il le lendemain de son départ, j'ai eu positivement la tête égarée^ ». Malgré d'éloquentes promesses de constance, cet éloignement était triste parce qu'il était difficile qu'il ne fût pas définitif. Au milieu de leur volonté et de leur espérance de rester l'un à l'autre, les deux amants pouvaient-ils ne pas sentir que la vie les reprenait, les séparait, les entraînait loin l'un de l'autre?
On est ici au point pour juger cette étrange correspondance qui n'aura plus que quelques lettres. A dire vrai, celle de Burns est de la pure déclamation. La forme constamment oratoire, les apostrophes incessantes à Dieu et à la nature, la phrase pompeuse, l'enilure du ton, la rendent insupportable. Ces lettres ont l'air de péroraisons. Lui dont les autres productions doivent d'être si fortes à la réalité dont elles sont pleines, est ici en dehors de la réalité ; les faits n'apparaissent presque pas, à peine comme prétexte à des variations ou à des lieux communs. Sans doute il y a des passages mouvementés , lancés par une main robuste, et c'est peut-être par eux qu'on peut le mieux entrevoir l'orateur qu'il y avait en lui. Mais ce sont des traces de talent égarées dans la prétention et l'emphase. Et comment en arriva-t-il là ? Mr Hately Waddell, dont l'admiration pour cette correspondance nous semble excessive, a une remarque qui va au vrai des choses. Il dit qu'elle est faite de rivalité et il en explique l'exagération par l'emportement de gens qui jouent l'un contre l'autre et s'animent ^. Cela est vrai pour Burns. Il y a de sa part un effort pour éblouir sa correspondante, pour avoir le dessus dans un exercice littéraire. Il se mit dès le premier jour dans le faux en faisant d'une affaire d'amour une question d'araour-propre. Aussi ne réussit-il pas. La correspondance de Clarinda est de beaucoup supérieure à la sienne. Si on la débarrasse de quelques développements à la mode, dont quelques-uns sont après tout fort jolis, elle reste autre- ment naturelle et sincère. Autant les lettres de Burns sont vagues et monotones, autant celles-ci sont précises, variées, pleines de ceux qui s'écrivent, pleines de ces petits faits qui sont la vie et ne semblent pas méprisables à ceux qui les vivent. C'est par elles qu'on peut suivre les péripéties et pénétrer dans les seconds plans de cette aventure. Elles ont la variété naturelle d'une conversation. A chaque instant, il s'y rencontre de fines remarques, des coins délicats de coquetterie ou de sensibilité féminines ; parfois aussi de sages et prudents conseils, tout solides de bon sens. Il y a surtout de la sincérité et des passages véritablement drama-
1 Voir la lettre plus loiu, p. 403.
2 To Richard Brown, 26th March 1788.
3 Hately "Waddell, Life of Burns, p. xxxui.
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